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Si ça ne vient pas de l'AFP c'est que ça n'est pas réellement arrivé!


Tsi Chi Lop le "king of meth"

Publié par Desmoulins sur 24 Janvier 2021, 15:41pm

Catégories : #Trafic de drogue, #Chine, #Géopolitique, #Santé, #crime organisé

La nouvelle est d'importance même si elle passe presque inaperçue dans nos médias occidentaux mais l'arrestation du trafiquant Tse Chi Lop, 57 ans, est un événement en soit. De ceux qui marquent d'une pierre blanche la lutte contre les organisations criminelles dans un calendrier bien chargée et où les actes manqués sont légion. Le genre de victoire contre le crime organisé qui vous donnent l'impression de ne plus avoir à vider la mer avec une petite cuillère mais une louche. 

Tse Chi Lop est donc aujourd’hui sous les verrous. Arrêté à l’aéroport de Schiphol aux Pays-Bas grâce à une info de la police australienne à leurs homologues néerlandais. L'Australie est en effet le pays ayant le plus œuvré à cette interpellation. Plus que la Chine, le pays de naissance de Lop ou que le Canada, son pays d'adoption. Tse Chi Lop est du bois dont on fait les mythes du crime organisé. Secret, retors tout autant que bling-bling et grandiloquent. Lop a bénéficié d'un parcours idoine au sein de la pègre internationale.
A l’instar des boss mafieux de la Calabre profonde, Lop a bénéficié d'un anonymat certain tout en gravissant les échelons un à un. Ce n'est qu'en octobre 2019 que son nom est ressorti lors de la création d'un groupe de travail international pour débusquer le boss du syndicat «Sam Gor» appelée aussi «The Company». Une organisation dominante dans le marché de la drogue d'Asie du Sud-Est estimée à 70 milliards de dollars selon Interpol.
Lop est alors présenté comme un ressortissant chinois mais installé durant des décennies à Toronto et transitant entre Macao, Hong-Kong et Taïwan. Dans un document des autorités taïwanaise il est présenté comme le chef du syndicat même si publiquement il n'y avait jamais eu d’annonces en ce sens. On attribue au réseau 70% des contrebandes de drogues entrant en Australie. La police locale a identifié ce groupe dans au moins 13 saisies d'importance depuis janvier 2015.

Tse Chi Lop (COurrier Mail)

Tse Chi Lop (COurrier Mail)

Produisant d'énormes quantités de méthamphétamine de haute qualité au Myanmar (anciennement Birmanie) et la transmettant à des pays allant du Japon à la Nouvelle-Zélande, l'Office des Nations Unies contre la drogue et le crime (ONUDC), indique en 2019 que le syndicat gagne 8 milliards de dollars par an et pourrait gagner dans les années à venir jusqu'à 17,7 milliards de dollars par an.
Il est le principal facteur de la multiplication par quatre du trafic de méthamphétamine dans la région au cours des cinq dernières années, précise encore l'ONUDC. 
L'offre de cette drogue hautement toxique a augmenté, entraînant une chute du prix de vente dans les rues de nombreux pays. Dans un rapport publié en juillet 2019, l'agence de l'ONU a déclaré que le commerce de la méthamphétamine avait atteint "des niveaux sans précédent et dangereux" et constituait "un défi direct pour la sécurité publique et la santé de la région". Le rapport aurait dû préciser des régions tant cette drogue s'infuse partout là où elle a longtemps été dévolue seulement à l'Amérique du Nord ses utilisateurs, distributeurs et producteurs issus du milieu ouvrier du Midwest et des clubs de bikers criminalisés. Au milieu des années 2000 la meth fait les gros titres des médias américains, présenté comme le nouveau crack des années 80.
Hautement addictive il est vrai mais largement fantasmé aussi. Et là où on aurait du voir une question de santé publique les autorités n'y ont vu là encore qu'une réponse pénale et judiciaire. Condamnant des travailleurs pauvres à perpétuité pour quelques grammes de meth qu'il produisait pour payer leur propre consommation. Comme pour le crack qui a largement été utilisé pour criminaliser la communauté afro-américaine avec le principe des peines planchers (une possession de 5 gramme de crack vous faisait risquer 5 ans de prison, la même peine que la possession de 500 grammes de cocaïne. Pourtant qu'est-ce qui différencie le crack de la cocaïne ? Rien le crack est issu de la cocaïne, un peu de soda, on cuit au four et hop on a du crack. Les afro-américains en 2008 ne représentaient que 13% des usagers du crack mais 90 % des condamnations. Et pour quelques grammes on traitait les dealers comme des barons de cartel. Allez comprendre.

Cette digression peut vous sembler inutile mais elle ne l'est pas. Elle met en perspective les véritables enjeux pour les autorités mondiales face aux addictions. On se pose la mauvaise question pour donner la mauvaise réponse.
Face à l'émergence de la consommation de meth, les autorités américaines avaient imposé un strict contrôle des sirops pour la toux et autres médicaments détournés à des fins récréatives (oui South Park était dans le vrai). 
Cette réglementation avait donné les outils de répression à la police pour frapper les laboratoires illégaux sur le sol américain avec des conséquences néfastes comme énoncé plus haut, mais ce démantèlement avait provoqué l'ouverture d'un nouveau secteur d'activité pour les cartels mexicains, qui avaient commencé à développer des liens avec des laboratoires chinois pour que ceux-ci leur fournissent des produits destinés à la fabrication d'amphétamines. (Radio-Canada 01/06/2019)

(IndyStar)

(IndyStar)

L'enjeu est d'autant d'importance ces dernières années quand on connaît l'ampleur de la crise des opioïdes en Amérique du Nord et à quel point la Chine est le principal producteur du fentanyl, un analgésique 100 fois plus puissant que la morphine (Fentanyl la pomme de la discorde entre les USA et la Chine) et dont les cartels mexicains raffolent (tout comme de leurs réseaux de blanchiment article...) aussi à un point de dépendance rarement atteint (que ce soit pour les producteurs que les consommateurs). Si tant que la pandémie et le ralentissement de l'approvisionnement en produits précurseurs (NPP et 4ANPP) pour la fabrication de Fentanyl aurait pu entraîner une pénurie de production si les mexicains n'avaient par trouvé des palliatifs (encore plus toxiques) transformant leur labo de meth en labo de fentanyl.
Le 1er avril 2019, la Chine annonce l'interdiction de la production de Fentanyl sur son territoire et sa lutte contre les labos clandestins, le monde et Trump en tête applaudit la nouvelle mais dans les faits rien ne se passe et ce même Trump en prend ombrage et publie une série de tweets au mois d'août dont il a le secret.
Tout ce contexte pour expliquer à quel point cette arrestation, qui n'arrêtera pas la production de drogues synthétiques ne soyons pas naïfs, est monté en épingle. 
C'est le «roi de la meth» qui a été interpellé et non celui du fentanyl à «proprement parlé» même s'il en est un produit dérivé, un avatar dans une constellation d'autres trafiquants inféodés aux surplus de productions des usines chinoises. En juillet 2020, le Trésor américain ajoute sur sa «liste noire» les ressortissants chinois Zheng Guangfu, Giufeng Cheng, Longbao Zhang et Songyang Ji, ainsi que la société chinoise Global United Biotechnologie, soupçonnés de travailler pour Fujing Zheng, poursuivi depuis 2018 aux États-Unis pour trafic de fentanyl en bande organisée. En août c'est la société de Hong-Kong, Allyrise Technology Group Co et son dirigeant Taotao Zhang qui sont ajoutés à la liste. (
home.treasury.gov). En août c'est un autre dirigeant d'une entreprise pharmaceutique qui est interpellé à Toronto. Wister Wei Lap Lee, 38 ans, de la Genaxx Pharma Inc..

8 milliards par an

Pour en revenir à Tse Chi Lop, son réseau produit d'énormes quantités de méthamphétamine de haute qualité au Myanmar et la transmet à des pays allant du Japon à la Nouvelle-Zélande. Selon les estimations de l'Office des Nations Unies contre la drogue et le crime (ONUDC), le groupe gagne 8 milliards de dollars par an et pourrait gagner jusqu'à 17,7 milliards de dollars par an.
Le syndicat est le principal facteur de la multiplication par quatre du trafic de méthamphétamine dans la région au cours des cinq dernières années, a précisé l'ONUDC. L'offre de cette drogue hautement toxique a augmenté, entraînant une chute du prix de vente dans les rues de nombreux pays. Dans un rapport publié en juillet, l'agence de l'ONU a déclaré que le commerce de la méthamphétamine avait atteint «des niveaux sans précédent et dangereux» et constituait «un défi direct pour la sécurité publique et la santé de la région».
La liste des cibles indique que les australiens ont identifié 19 leaders syndicaux, dont quatre sont des ressortissants canadiens. D'autres dirigeants présumés sont originaires de Hong Kong, Macao, de Chine continentale, de Taïwan, de Malaisie, du Myanmar et du Vietnam. (Crimesite- Crimorg.com)

(Taiwan News)

(Taiwan News)

Si Tse avait déjà été impliqué dans le trafic de drogue il n'en était tout au plus qu'un simple exécutant quelconque jusqu'alors. En 1998, il est arrêté et extradé de Hong Kong vers les États-Unis pour complot en vue d'importer de l'héroïne en Amérique. Il est jugé à New York et, en 2000, condamné à neuf ans de prison, il a principalement servi dans un établissement pénitentiaire fédéral à Elkton, dans l'Ohio. Il est sorti en 2006 et est reparti vivre à Toronto, la ville qui l'a vu arriver en 1988. A l'instar d'un Nemeso Osiguera Cervantes petit dealer de Los Angeles dans les années 90 devenu boss du Cartel de Jalisco Nueva Generacion, il a connu tous les échelons du trafic de drogue.
Après sa sortie de prison il fonde la China Peace Investment Group Company Ltd à Hong-Kong. C'est pas le biais de cette société qu'il va remettre le pied dans le trafic profitant sûrement de la chute des tauliers avant lui. 
En novembre 2008, l’«Office of Foreign Assets Control» du Département du Trésor américain met sur sa liste noire 26 individus et 17 sociétés liés à la «United Wa State Army» (UWSA) et à son chef, Wei Hsueh Kang. Les autorités américaines accusaient l’UWSA d’être la plus importante organisation de trafic de stupéfiants dans le sud-est asiatique (méthamphétamine notamment). Wei Hsueh Kang et ses frères Wei Hsueh Lung et Wei Hsueh Ying ont été inculpés pour trafic de drogue en janvier 2005 par la justice américaine. Les biens des personnes et sociétés en cause peuvent être gelés par les autorités américaines et il est interdit à tout citoyen américain de faire du commerce avec eux.
Les Wa sont une minorité ethnique, présente entre la Chine et le Myanmar. L’UWSA (20.000 membre) est une milice à qui le gouvernement birman a confié, depuis 1989, le contrôle de la Région Spéciale n°2 (nord du pays, limitrophe de la Chine). (Crimesite - Crimorg.com)
Le pays est durement éprouvé par ce trafic et ces élites aussi. En 2010 on comptait au parlement birman 6 candidats élus liés ou cités dans des affaires de drogue. Ces élus étaient tous liés au parti «Union, Solidarité et Développement» et d'anciens miliciens comme Kyaw Myint ou Keng Mai.

L’enquête, qui concerne une douzaine de pays, a été baptisée Opération Kungur. 

Le groupe comprend au moins cinq groupes de triades originaires de Hong Kong, Macao, Chine et Taiwan, mais qui ont une portée mondiale. Il s’agit des 14K, Wo Shing Wo, Sun Yee On, du Big Circle Gang et des Bambous Unis de Taïwan.
Pour vendre ses drogues, le syndicat "Sam Gor" (qui veut dire 3ème frère un des surnoms de Tse en chinois) travaille en étroite collaboration avec les Yakuza, le crime organisé thaïlandais et des gangs de motards australiens, entre autres groupes criminels.
Selon des sources policières régionales, le groupe de travail aurait recueilli des conversations téléphoniques avec Tse faisant état de son trafic de drogue, des registres d'appels téléphoniques le reliant à d'autres membres présumés du syndicat et des images de surveillance de Tse avec des membres du groupe criminel. En 2011 notamment la police australienne qui filait le train de trafiquants de Melbourne dont le boss a rencontré à Hong-Kong deux de ses fournisseurs dont Tse Chi Lop. 
En 2016 l'arrestation de qui semblait être un simple passeur de kétamine à l'aéroport de Yangoon (Myanmar) s'est en fait avéré être une mine d'or d'informations pour les enquêteurs chino-australiens (
les détails de l'enquête). L'organisation de Tse se fournissait en produits précurseurs auprès d'usines chinoises et déplaçait ensuite la marchandise dans l'état de Shan au Myanmar.

Saisie géante de meth à Myanmar (Le Point)

Saisie géante de meth à Myanmar (Le Point)

L'UNODC estimait que le commerce de la méthamphétamine pour la région Asie-Pacifique valait à lui seul 61,4 milliards de dollars en 2018, contre 15 milliards il y a cinq ans. Le trafic d'héroïne représentait jusqu'à 10,3 milliards de dollars en 2018.
Le syndicat est soupçonné d’être le principal acteur sur les marchés de la méthamphétamine et de l’héroïne, produisant les drogues ainsi que la kétamine hallucinogène dans des super-laboratoires dans le l'état de Shan dans le nord-est du Myanmar, où des groupes armés ethniques contrôlent des étendues de territoire.
En 2020 le rapport de l'ONU qu'en 2019 la Birmanie comptait 33100 hectares de pavot dont 28000 dans le seul état Shan avec un rendement de 15,4 kilos à l'hectare.
La police a également déclaré que le syndicat trafiquait de la MDMA, connue sous le nom d'ecstasy, et de la cocaïne provenant respectivement d'Europe et d'Amérique latine.
Les autorités affirment que les drogues sont distribués via des navires de pêche réutilisés qui traversent de grandes distances, cachés dans des conteneurs à bord d'autres navires ou transportés par des véhicules et des courriers munis de sacs à dos qui marchent le long des pistes de la jungle menant au centre de production du syndicat, au cœur du Triangle d'Or en Asie du Sud-Est.
En juillet 2019, (
Rapport ONU 2019) les chiffres de saisies de méthamphétamine avaient explosé dans la région entre 2014 et 2018 (+925% au Laos, +870% au Myanmar, +630% en Indonésie,…). C'est encore dans l'état du Shan que 599400 pilules de meth sont saisies en juillet 2020, un record mais pas autant que les 200.000 litres de précurseurs chimiques, 10 tonnes de caféine et 73 tonnes d'hydroxyde de sodium) saisies à Shan en février 2018.

L'histoire du crime organisé est immuable, une tête est coupée et deux autres repoussent. La nature a horreur du vide est l'expression consacrée pour commenter ces aléas des organisations criminelles. L'accidentel et le sporadique que constituent ces arrestations font les sujets de fonds des médias. Contrairement aux policiers les journalistes aiment à croire au grand chef qui contrôle tout et dont la fin constitue celle d'une ère de crime. La vérité est plus tortueuse. Le trafic de meth survivra à la fin du règne de Tsi Chi Lop, l'ingrate se trouvera de nouveaux barons.

Aimant le luxe et les fêtes Lop a tout de même eu le temps de se forger une réputation comme celui à qui on le compare souvent, «el Chapo Guzman». Lop avait pour protection tout un bataillon de boxeurs thaï. On dit qu'un de ses séjours à Macao il s'est tapé une facture de 60 millions de dollars et pas seulement au casino. Celui que l'ont dit 10 à 35 fois plus riche que le cartel de Sinaloa a donc été rattrapé par la patrouille. La question serait de savoir ce qu'il venait faire aux Pays-Bas. Il n'y était sans doute qu'en transit mais allez savoir ?  L'intensification de la production de meth sur le territoire néerlandais n'est pas du tout une fiction et ce sous le zèle des trafiquants mexicains qui investissent les «labos» laissés vacants par les trafiquants d'ecstasy, la spécialité locale. Venait-il faire des affaires ? Rencontrer un gros bonnet des Triades à Amsterdam ou un baron local ? Parler blanchiment (la réputation des Pays-Bas à ce niveau n'est plus à faire ? Cette dernière hypothèse pourrait être la bonne. Il aurait pu chercher de nouveaux débouchés après l’assassinat d'un des principaux blanchisseurs canadiens Jian Jun Zhu en septembre dernier. 

Le cœur à ses raisons...le portefeuille aussi.

 

 

Sources : Crimorg.com ; Crimesite ; SMH.au ; Taiwan News ; Radio-Canada

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