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Si ça ne vient pas de l'AFP c'est que ça n'est pas réellement arrivé!


Matteo Messina Denaro, une vie à l'attendre. Partie 3

Publié par Desmoulins sur 5 Mars 2023, 14:32pm

Catégories : #Mafia, #Sicile, #Italie, #crime organisé, #Justice, #Cosa Nostra

La Repubblica

La Repubblica

Au frigo, un bocal de caviar. Dans le garde-manger, des sauces d'origines autrichiennes, un pot de Nutella et deux bouteilles de liqueur haut de gamme. L'invité de ce petit appartement du centre d'Aspra, village balnéaire aux portes de Palerme, était un gourmet. Il semble être parti précipitamment car il avait laissé un puzzle non terminée sur la table. Dans un tiroir, une cartouche de cigarettes Merit, une écharpe et un bracelet pour femme achetés dans une bijouterie bien connue de la ville et prêt à offrir. Encore d'autres indications très claires d'une évasion soudaine ? Le tout a été immortalisée par des clichés des enquêteurs mais qui ne paraîtront dans la presse que bien des années plus tard après avoir été mis sous clé dans les coffres blindés des archives du Palais de Justice de Palerme. 

(La Repubblica - DIA de Palerme)
(La Repubblica - DIA de Palerme)
(La Repubblica - DIA de Palerme)
(La Repubblica - DIA de Palerme)
(La Repubblica - DIA de Palerme)

(La Repubblica - DIA de Palerme)

Je ne vais pas ménager le suspense sur l'identité du pensionnaire, c'était bien Matteo Messina Denaro qui a vécu dans cet appartement au deuxième étage de la via Milwaukee 40. 
Un immeuble comme tant d'autres, dans une ville où les rues étroites se ressemblent toutes. C'est la seule cachette de Messina Denaro qui ait jamais été découverte en 29 ans de clandestinité. Une cavale mené à grand train et qu'il n'a jamais vraiment vécu seul comme en atteste la présence de ces effets féminins. Aucune rumeur n'atteste qu'il aurait pu se travestir en femme afin d'échapper aux surveillance à l'instar de son collègue Marco Di Lauro.
Matteo, l'homme à femmes. C'est l'autre facette de personnalité du boss et même son plus gros point faible. Car c'est bien son amour pour elles qui a failli le perdre ce jour du 30 avril 1997. Cette-fois-là les carabiniers n'ont jamais été aussi proches de l'attraper et ne le seront d'ailleurs plus jamais. 
Pour arriver à cette presque capture, les services anti-mafia n'avaient pas pris en filature n'importe qui ou plutôt si, aux yeux du quidam il aurait pu s'agir d'une piste anonyme et sans intérêt. Il ne fallait pas remonter la chaîne du commandement ou suivre l'argent dans le cas de Denaro mais plutôt suivre les voies du cœur du boss, en la personne de sa maîtresse d'alors, Maria Mesi.

Maria Mesi filé par la police (Corriere della Sera)

Maria Mesi filé par la police (Corriere della Sera)

«30 avril 1997, 23h30, elle marche manifestement avec un air méfiant» écrivent les enquêteurs Carmelo Marranca et Marcello Russo dans leur rapport, «elle porte un chapeau, des lunettes et et une cape, qu'elle enlève dès qu'elle tourne au coin de la rue». Cette rue c'est la via Milwaukee là où Maria se rendait régulièrement, surtout le week-end mais pas moyen de connaître le bon numéro encore. 
Cette piste c'est celle du Criminalpol dirigé à l'époque par Santi Giuffrè. Il en est sûr, Matteo est dans le coin. Ces dernières années aux alentours d'Aspra, on a intercepté de drôles de «facteurs» qui avaient sur eux plusieurs pizzinis, ces petits messages de donneurs d'ordres, seuls liens entre une autorité criminelle en fuite et ses proches. 
Ces mots vont permettre au pool anti-mafia de dessiner et découvrir qui est vraiment cet homme en passe devenir le digne héritier d'un père déjà surpassé dans le gotha criminel. Ce que les enquêteurs vont entrevoir à travers ces quelques lignes récoltées ici et là n'est pas vraiment la vie d'un moine soldat ni même d'un ermite mais plus celle d'un nouvel avatar criminel : l'oligarque mafieux tout autant épicurien que stakhanoviste. 
Un combo détonnant. Celui d'un boss, devenu papa en 1995 et qui n'a encore jamais vu sa fille et dont il apprend le prénom par sa sœur Patrizia. «Elle va la nommer Rosalia, comme notre sœur aînée» et tant pis si finalement elle se prénommera Lorenza, comme la fille aînée de Rosalia, qu'elle ne portera pas le nom de Messina Denaro et que jamais père et fille ne se rencontreront durant cette vie clandestine. 

Père et grand-père

Avant son «départ» en juin 1993, Denaro a eu une brève liaison avec une femme de Mazara, Sonia M.. 
Dans une lettre qu'il lui adresse et que la police a retrouvé, il mentionne qu'il doit partir et qu'il n'était pas en mesure d'expliquer sa décision.
Puis Messina Denaro va entamer une «relation stable» avec Franca Alagna, qui a donné naissance le 17 décembre 1995 à sa fille, qui portera le nom de sa mère. 
Le 14 juillet 2021, celle-ci a donné naissance à un garçon avec son compagnon. 
Lorenza a depuis déménagé de la maison de sa grand-mère paternelle à Castelvetrano, où elle vivait avec sa mère, choisissant de vivre de manière indépendante sans avoir à porter le poids de son nom de son père. Par ses avocats elle a déjà rappelé plusieurs fois depuis ce 16 janvier à ce qu'on respecte sa discrétion.
Seulement voilà à l'histoire familiale mafieuse et publique de son père côtoie de très près celle plus intime de leurs liens. Et une lettre de Matteo retrouvé chez sa sœur Rosalia met en lumière un père absent mais fâché qui pense que sa fille a été «mal élevée». Dans cette lettre il fustige que d'autres enfants de mafieux qui ont grandi sans père n'ont pas «fini comme Lorenza». 
«C'est l'environnement dans lequel tu grandis qui te façonne, et elle a très mal grandi». Qu'entend-t-il par là on ne sait pas. Déplore-t-il son manque de loyauté envers la famille alors que sa cousine homonyme est devenue l'avocate de toutes ces tantes/oncles et cousins ? Que tous sont dédiés au seul bien-être de Matteo et que c'est le seul qui importe ?
Le boss conclut: «L'absence de père n'est pas en soi une raison de dégénérescence éducative, il n'y a que Lorenza qui a dégénéré intimement, les autres que je connais ont toutes grandi honnêtement». 
Un constat amère qui fait dire à une psychiatre citée par LiveSicilia «que les individus comme Denaro ne savent aimer les autres et seulement à l'intérieur d'un code affectif personnel et égocentrique strict causant beaucoup de douleur».

Maria Mesi (La Repubblica)

Maria Mesi (La Repubblica)

Selon la lithographie mafieuse, Matteo et Francesca se seraient marié. Ont-ils seulement eu une vraie vie de couple ? 
Le début de la liaison de Matteo avec sa maîtresse Maria Mesi débute dès 1994. C'est avec elle que Matteo aka «Matteo Cracolici» part en vacances en Grèce sous ce faux nom.
Maria avait trois ans de moins que Matteo et lui envoyait des lettres, des cadeaux de la dernière génération de parfums et même des jeux vidéos. Au départ ils se rencontraient dans un appartement à la périphérie de Palerme, une alcôve prêtée gracieusement par les frères Graviano mais ils se retrouvaient aussi dans une villa à Bagheria. 
Francesco et Paola, frère et  sœur de Maria, étaient employés à la clinique de Bagheria géré par Aiello, considéré comme une figure de proue du boss Bernardo Provenzano. 
Plus particulier, Paola Mesi était la secrétaire personnelle du "roi des cliniques" comme il était surnommé et seule administratrice de la Selda srl, société attribuable à Aiello lui-même. Ces liens dans l'administration hospitalière ne sont pas que le fruit d'un hasard amoureux mais aussi d'une filiation. Un des beaux-frères de Denaro n'est autre que Filippo Guttadauro (qui a épousé sa sœur aînée Rosalia), frère du célèbre chirurgien Giuseppe Guttadauro, qui deviendra en 1998 chef du district de Brancaccio-Ciaculli. C'est probablement lui qui a été le trait d'union ou plutôt l'entremetteur entre Maria et fugitif.

Vacances en Grèce

En 2000, la police arrête Maria Mesi et trouve des lettres d'amour qu'elle avait échangées avec le fugitif et pour ces raisons, l'année suivante, elle est condamnée à trois ans de prison pour complicité avec son frère Francesco. Avec lui elle tient aujourd'hui l'usine de torréfaction familiale dans la campagne palermitaine et vit toujours via Milwaukee. 
En juillet 2006, les enquêteurs trouvent d'autres lettres d'amour de Maria au domicile de Filippo Guttadauro, qui avait pour tâche de les remettre à son beau-frère. 
Dans ces pizzini, «U Siccu» désigne Maria sous le nom de code «Tecla». Maria, plus rêveuse, signe ses lettres «Mariella» ou «Mari». 
En amoureuse transie elle accepte cette liaison au long cours qui malgré quelques vacances ensemble sera avant tout une relation épistolaire car comme elle le déplore dans une de ses lettres, il a refusé qu'elle vive avec lui «J'ai beaucoup réfléchi à la raison pour laquelle tu ne veux pas que je vive avec toi. Je pense que j'ai enfin compris. Je comprends, mais je ne suis pas d'accord. Mais parce que je te respecte tellement, je respecte tes choix en conséquence. Je t'aime et je t'aimerai pour la vie. À toi pour toujours, Mari». 
Durant ces années, Maria ne s'est pas contenté d'être entretenue, elle a travaillé...certes c'était dans une entreprise de conservation de poissons «Sud Pesca» appartenant à Carlo un autre frère Guttadauro, décidément des amis formidables.

De cette relation il n'en reste rien en 2022 et Maria ne veut plus en entendre parler. Les visites des carabiniers à son domicile depuis l'arrestation de son ex amant l'agace au plus haut point bien qu'elle ne se soit jamais marié par fidélité pour Matteo. 
Selon la chronique de «Saint Pentito», Matteo aurait eu bien d'autres maîtresses encore. On parle notamment d'une belle brune silencieuse aperçue à son bras au Venezuela en 2003. Mais aussi d'une autrichienne surnommée «la maniaque» et ce qui explique la présence des mets autrichiens au 40 de la Via Milwaukee, il s'agissait de cadeaux de sa part. 

Testa grossa et Bocconcino

Quasi vénéré par son clan familial. Il faut lire les pizzini qu'ils lui ont envoyés pour se rendre compte de son aura auprès des siens. 
«J'espère que tu la feras baptiser, j'aimerais avoir un de tes enfants comme filleul» raconte encore Patrizia.
Cette dernière, qui on le sait, sera condamné sous le régime 41 bis pour association mafieuse semble se trouver à un niveau intermédiaire de quasi commandement et sous couvert de pseudos lui fait part des infos sur les déclarations des derniers repentis dont ceux d'un homme affublé du surnom «testa grossa» (grosse tête) qui l'aurait signalé aux policiers chez une famille de Campobello «fort heureusement tu n'y étais pas». 
Ce à quoi Matteo répond: «Quoi que la grosse tête veuille inventer, cela ne nous intéresse pas, nous sommes et resterons des gens honnêtes et respectables».
Ce grosse tête ? S'agissait-il de Sinacola ? où bien plutôt de Vincenzo Calcara ? 
Un «homme d'honneur» de la Famille mafieuse de Castelvetrano qui le 3 décembre 1991, s'était rendu au Palais de Justice de Marsala pour parler au juge Paolo Borsellino. 
Le mafieux lui avait déclaré qu’il avait été chargé de l’éliminer, avec un fusil de précision ou une voiture piégée. C’est le début d’une collaboration avec la justice. Calcara va parler des liens entre Cosa Nostra et l’IOR, la Banque du Vatican. Il va également évoquer les liaisons malsaines entre des hommes politiques et certains carabiniers. Malgré le danger, il sort du programme de protection des repentis en 1998 et multiplie les interventions publiques pour dénoncer la Mafia. 
Exilé dans le Piémont il est l'objet de menace par 2 hommes qui en dialecte sicilien font passer un message à sa femme «dis lui de la boucler!». On ne saura jamais s'il s'agissait vraiment d'un acte commandité depuis la maison mère de Castelvetrano. (Repubblica ;Live Sicilia ; Crimorg.com)
Certains messages sont aussi d'une grande banalité, on y dépeint plus de la vie de famille que de la criminelle. Sa sœur Giovanna y va de ses missives elle aussi, lui qui la surnomme «bocconcino» (friandise) et qui était chargé plus particulièrement à lui donner des nouvelles de sa compagne et de sa fille.

«Tu me donnes la force de vivre»

Son frère Salvatore lui écrit avec encore plus de révérence que ses soeurs. «Comme ça me fait mal de savoir que tu ne vas pas bien à cause des autres. Tu penses à garder ton calme car je ne te trahirai jamais, même si je ne te l'ai jamais montré quand tu m'as dit de faire quelque chose et que je ne t'ai pas écouté. Je veux te demander de me pardonner, tu es la seule personne en qui je crois et qui me donne la force de vivre». 
Même son beau-frère Saro Allegra lui a réitéré son estime : «Entre toi et moi il n'y a pas d'obligations, nous appartenons à cette caste de noblesse (d'esprit) qui s'acquiert par la naissance».

Salvatore Messina (Live Sicilia)

Salvatore Messina (Live Sicilia)

A partir de 2013, C'est Rosalia que Matteo appelle «Fragolone» qui va être l'interlocutrice privilégiée de son petit frère après l'incarcération de Patrizia. Il lui envoie même un «manifeste Cosa Nostra» à diffuser à la presse où il dit être honoré d'être mis en examen pour association mafieuse. 
Il lui transmet aussi des indications pour l'aider à gérer les affaires de la Famille. Les pizzini retrouvés chez elle sont éloquents sur la minutie du boss qui donne des ordres très détaillés et chiffrés. Il lui explique notamment comment faire payer un homme d'affaires surnommé "le Parmesan" : «explique lui comment il doit te donner 40 000 euros, il a trois mois pour le faire, en coupure de 5000». 

Ces pizzini prouvent une autre chose au delà des liens indéfectibles de la fratrie et alentours, c'est que Matteo devient petit à petit un référent important de l'ouest de l'île. Un pizzini notamment fait état de son inquiétude à Bernardo Provenzano alors encore boss et à l'abri dans dans sa cahute, par rapport à la déliquescence de la «Famille de Marsala». Dans ce message Matteo estime qu’il n’y avait «plus d’hommes d’honneurs valables dans cette ville». 
Et c'est lui qui va plus ou moins coopter de nouvelles têtes comme Vito Vincenzo Rallo et Giuseppe Raia pour redynamiser la cosca en déclin. 
Les écoutes téléphoniques et les micros espions vont démontrer qu’en 2015 le boss en fuite était dans la région et qu’il était intervenu dans un conflit interne à la Famille sur la répartition des revenus des activités illicites. Matteo aurait même menacé de faire «intervenir son armée» si un accord n’était pas trouvé en interne.

Cette multiplication d'échanges n'est pas passé totalement inaperçu des autorités et indique que Matteo se trouve autour d'Aspra ou dans ses environs immédiats. Le tout est de ferrer le bon poisson mais après avoir observé à plusieurs reprises Maria Mesi dans les rues de la petite station balnéaire on n'a toujours pas niché le boss. Hélas les enquêteurs ne le savent pas encore mais Maria ne paraîtra plus après ce 30 avril. Comment a-t-on pu perdre sa trace ? Comment après avoir identifié la rue, les enquêteurs n'ont pas pu vérifier plus précisément le numéro ? Des questions anodines mais dérangeantes qui pourraient indiquer qu'en avril 1997 «Diabolik» n'était pas encore une priorité des autorités !

Ce n'est qu'en décembre que les carabiniers pensent avoir enfin localisé le nid de Diabolik, ils y placent des micros, et des caméras mais il est déjà trop tard et après plusieurs jours d'inactivité, il devient clair que le ou les occupants ont déjà quitté les lieux et n'y reviendront plus. 
Il ne restait plus qu'à photographier les indices restants. Par qui Messina Denaro avait-il appris que la police était sur sa piste ? Et comment avait-il réussi à s'enfuir ?

(La Repubblica)

(La Repubblica)

Le départ n'était pas prévu à l'évidence car il a laissé de nombreux indices. Chaque artefact avait une bonne raison d'y être et avait son histoire : les "bretelles rouges et l'écharpe à imprimés léopard" s'explique par le look excentrique du boss. «A cette époque, il portait des vêtements Versace et Armani», a déclaré le repenti Sinacori. Après sa capture en janvier dans une de ces cachettes on va retrouver sa collection de RAYBAN.

Fan de Lara Croft et de Super Mario

Autre trouvaille de la perquisition de 97, une console de jeux Nintendo (à priori la Super Nes). Là encore il s'agit d'un des "vices" du boss qui adorait s'y adonner. 
Dans un pizzino envoyé par Maria Mesi, elle lui dit qu'elle a lu dans un magazine de jeux vidéo (à priori pas Canard PC) que le jeu Donkey Kong 3 allait sortir bientôt et qu'elle allait lui acheter ainsi que Secret of Maya 2. 
En bon professionnel je me dois d'ajouter que ses jeux préférés étaient la série Lara Croft, les Super Mario Bros ainsi que les simulations de football et d'aventures. 
N'oublions que la génération de Matteo est une des premières à avoir bénéficié des 1ères consoles familiales pour jouer dans son salon. S'il n'avait pas été mafieux serait-il devenu le «Marcus ze Boulet» sicilien ? 
C'est en tout cas une passion qu'il partageait aussi avec plusieurs confrères assassins comme Giovanni Brusca, le bourreau de Falcone, qui passait des heures devant l'écran selon les dires de certains. Évidemment certains journalistes seront tenté peut être de faire une corrélation malheureuse entre violence et jeux vidéos. Rien ne dit si Brusca préférait jouer plus à Mario Kart qu'à Bomberman (au demeurant jeu totalement inoffensif) donc le débat est inutile, fermons la parenthèse.

Quand au puzzle non terminé, cela n'a rien à voir avec une fuite précipité. On apprendra bien plus tard que Matteo ne disposait tout simplement pas de toutes les pièces, et qu'il aurait même incité Maria Mesi à envoyer une lettre au fabricant pour récupérer une «pièce manquante». 
On le sait, le meilleur moyen de ne pas succomber à un vice c'est d'en avoir plusieurs.
Chaque élément retrace un bout de vie, mais la vraie pièce manquante aujourd'hui reste lui, devenu un engagement prioritaire pour le procureur de Palerme Francesco Lo Voi. Deux équipes de policiers et de carabiniers continuent de rechercher des traces utiles. On place des caméras espions devant les domiciles mais ceux -ci sont constamment repérés et volés notamment ceux surveillant Franco Luppino l'homme de confiance et Salvatore. Et de toute façon a-t-on déjà vu une caméra filmer un fantôme ?

(La Repubblica - DIA de Palerme)

(La Repubblica - DIA de Palerme)

Les années suivantes, Matteo phagocyte toutes les conversations au fur et à mesure que le temps passe et que les coopérateurs de justice s'accumulent. 
Mais après ce coup raté, cette double fuite (de Matteo et d'informations) laisse un goût amer et va revêtir d'autres oripeaux de mystère. 

D'où vient l'argent qui finance tout ça ?

Une telle cavale, surtout pour un homme peu habitué à une vie spartiate coûte cher et si on ne peut détourner sa famille de lui, il va falloir s'attaquer à ses «banquiers» et le boss ne manque pas de ressources au propre comme au figuré. 
A l'orée des années 2010, plusieurs de ses collègues tombent entre les mains de la police. En 1er lieu Salvatore Miceli le boss de Salemi en juin 2009, puis Giuseppe Falsone, boss de la région d’Agrigente en juin 2010 et enfin Gerlandino Messina en octobre 2010. 
Falsone a même été interpellé à marseille dans un appartement de 120 m² du Boulevard Notre-Dame dans le 6ème arrondissement. Il y vivait depuis plus d'un an. S'étant un peu éloigné de son fief au contraire de Matteo qui n'est pas tout à fait étranger à cette relocalisation du presque homonyme du juge. 
Les 2 fortes têtes se seraient fâchés après que Falsone ait marché sur les plates bandes de son homologue et le contrôle des supermarchés de la région de Trapani. L'arbitrage de Provenzano à l'époque n'a pas apaisé les tensions et Falsone le reconnaît «Denaro est un homme bien plus dangereux que lui».  
Aux planques VIP Premium, Falsone préférait les cabanes avec un lit de camp, aux maîtresses parfumés Paco Rabanne de Matteo, les hommes de Falsone lui payaient des prostitués sud-américaines. Aux vêtements de marque et aux consoles vidéos, il choisissait la bible et la statue de la Vierge. 
En France il a pu bénéficier d'un autre cadre de vie, moins austère mais avec aussi moins de protections. L'article sur sa capture est à lire juste en dessous.

Miceli lui par contre était un «homme-joint» de Cosa Nostra et du trafic de cocaïne. Narco-broker de confiance des colombiens et des calabrais il est surtout un affidé du boss de Castelvetrano à qui il doit la vie après que Giovanni Brusca, encore lui, tueur patenté de Toto Riina, avait décidé de l'éliminer après un deal de drogue raté. 
Matteo plaidera sa cause et va en tirer grand bénéfice. Dès lors la came va couler à flots et inonder toute la Sicile. Fini le temps de la babania (héroïne) de la French et de la Pizza Connection. L'or blanc c'est dorénavant la cocaïne avec les clans calabrais qui vont jouer les bon offices durant une grosse décennie avant l'éclatement du trafic mondial en myriade de réseaux. 
On retrouvera parmi les mules de Miceli, deux jeunes femmes, Perla Genovesi et Nadia Macri qui furent également impliquées dans les «parties fines» dans les cercles politiques siciliens mais aussi de Rome. Perla, ancienne assistante parlementaire d’un sénateur, va témoigner lors du procès Rubygate contre Silvio Berlusconi. Elle va raconter avoir participé à des fêtes avec des politiciens e nvue, avec son amie Nadia, escort girl. C’est durant ces fêtes (avec sexe, alcool et stupéfiants) qu’elles auraient rencontré «il Cavaliere». 

La chute de ces hommes va faire de Matteo, le mafieux le plus puissant de l'ouest de l'île encore en liberté. Puissant certes mais somme toute pas assez pour clamer le titre de capo dei tutti capi comme le fait Domenico Raccuglia dit «Le Vétérinaire» (à croire que tous les boss ont eu des carrières contrariées dans le médical). 
Vaniteux le Matteo mais pas suffisamment pour s'enorgueillir d'un tel rang ?! La vérité semble ailleurs. S'il participe aux tractations de la restructuration de Cosa Nostra, Matteo a surtout d'autres chats à fouetter. Faire tourner la machine à billets.

A fond écolo

En février 2009 les autorités déclenchent l’opération «Eolo» contre l’infiltration de Cosa Nostra dans le secteur de l’éolien sur l’île, un secteur en vogue partout en Italie et qui va faire les beaux jours de «l'éco-mafia». 8 personnes sont arrêtées dont un conseiller municipal de Mazara del Vallo, Giovan Battista Agate (frère du boss Mariano Agate), un entrepreneur sicilien proche de Matteo Messina Denaro, un entrepreneur de Salerne, un autre du Trentin. Ce dernier, Luigi Franzinelli, associé dans la société «Sud Wind», favorisée dans l’attribution des marchés publics de l’éolien en Sicile grâce à la corruption mafieuse. Cette infiltration semblait pilotée directement par Messina Denaro. 

Figure de proue de l'énergie verte sicilienne, Vito Nicastri entrepreneur d'Alcamo, va aussi être un des principaux financiers de Cosa Nostra et plus particulièrement de «Diabolik». 
En septembre 2010, l'objectif est double pour les carabiniers, démanteler un réseau de blanchiment et couper les vivres du boss.
43 sociétés (gérant notamment des parcs éoliens) ont été ainsi saisies, de même que des villas avec piscine, des commerces, des immeubles, un catamaran de 14 mètres, des comptes courants, des polices d’assurance,… Nicastri a également développé des liens avec des clans de la ‘Ndrangheta de Plati, San Luca et Africo. Au total, les biens sont estimés à 1,3 milliard d’euros. 
Condamné à 4 ans pour fraude fiscale il est placé aux arrêts domiciliaires en mars 2018 pour concours externe à la Mafia, une charge pour laquelle il prendra 9 ans. 

En avril 2019, l'ancien électricien d’Alcamo, va se retrouver de nouveau au cœur d’un réseau de corruption au sein de la Région Sicile pour le favoriser dans les procédures administratives dans le secteur éolien. Dix autres personnes ont été inculpées, notamment le Professeur Paolo Franco Arata, ancien parlementaire de Forza Italia et consultant sur l’énergie auprès de la Lega de Matteo Salvini, ou encore Alberto Tinnirello, fonctionnaire régional du service de l’énergie. Figure de la Lega, Armando Siri, Sous-secrétaire d’État aux Transports, a également été inculpé pour corruption, créant une crise entre les deux partis de gouvernement : la Lega et le Mouvement 5 Étoiles.

Vito Nicastri (L'Espresso) ; Paolo Franco Arata (Gazzeta del Sud)Vito Nicastri (L'Espresso) ; Paolo Franco Arata (Gazzeta del Sud)

Vito Nicastri (L'Espresso) ; Paolo Franco Arata (Gazzeta del Sud)

Derrière tout ça on retrouve tout un faisceau de réseaux, opérant dans tous les domaines économiques. Matteo n'a pas chômé et la puissance financière dont il a bénéficié peut expliquer en partie sa capacité à s'évaporer comme et quand il le souhaite. 
En plus de Nicastri, Carmelo Patti, un natif de Castelvetrano, dirigeant avec sa famille une quarantaine de sociétés dont la Valtur, géant du secteur du tourisme en Italie avec ses 17 villages de vacances a pour certains enquêteurs, été considéré comme le «poumon financier» de Francesco «Ciccio» Messina Denaro. Les preuves manquent concernant sa collusion avec la Mafia mais par contre il va être poursuivi pour fraude fiscale aux côtés d'un de ses commissaires aux comptes, Michele Alagna, le frère de Franca. Le monde est petit pourrait être un proverbe sicilien. 
A noter que condamné en 1ère instance il est acquitté en appel et c'est peu dire que Patti n'a pas gouté les accusations des journalistes.

Chaque année de nouveaux noms s'ajoutaient à la litanie des soutiens financiers occultes du boss. Les communiqués du Parquet de Trapani sont devenus à la longue des marronniers journalistiques. Étalant un vaste spectre d'affinités, nées ici ou là, qu'elles proviennent du sérail mafieux ou du ruisseau des petites mains obséquieuses et serviles cherchant fortune, la liste est quasi incommensurable. 
Ici les Morici qui se voient saisir en avril 2013 pour 30 millions de biens dont le chantier naval de Trapani dont  ils avaient gagné plusieurs appels d'offres pour la mise au norme à l'approche de la «Coupe Louis Vuitton». Une rénovation tellement mauvaise qu'ils sont poursuivis pour fraude.
Et là, les héritiers (la veuve et les deux filles) d’Ezio Brancato, ancien dirigeant de la «Gasdotti Azienda Siciliana», une société de méthanisation, créée au début des années 80, est liée à des figures historiques de Cosa Nostra : Provenzano, Leoluga Bagarella et...Matteo Messina Denaro. 

Un clou chasse l'autre

Avec l’appui de Cosa Nostra, la société a pu contrôler la distribution de méthane dans 74 communes de Sicile et des Abbruzzes. 48 millions d’euros de biens ont été saisis en Sicile et en Sardaigne.  
Au même moment la Guardia di Finanza d’Imperia en Ligurie interpelle 4 personnes, accusées d’être liées au clan de Matteo Messina Denaro. Ils sont accusés de trucage d’appel d’offres et de banqueroute frauduleuse de la «Generali Costruzioni», laissant 7 millions d’euros de dettes. L’enquête a montré que des fonds avaient été détournés vers d’autres sociétés. Une des sociétés en cause avait été exclue d’un appel d’offre pour l’entretien d’un aqueduc de la commune de Pieve di Teco. Pour se venger, la porte de la mairie avait été incendiée. (Repubblica crimorg.com)

A chaque fois qu'un cercle est démantelé, un autre lui succède. Quand il ne s'agit pas d'un homme d'affaire comme Giovanni Savalle de l'architecte en odeur de franc-maçonnerie Giuseppe Tuzzolino ou d'élus comme Salvatore Pizzo ou la figure du Parti Démocrate, Paolo Ruggirello, cela va être le syndicaliste  Santo Sacco. 
Quand Nicastri est hors-jeu c'est Salvatore Angelo autre «roi de l'éolien» qui prend la suite et via deux sociétés gérait 5 parcs éoliens dont celui de Contessa Entellina (Palerme) et le parc photovoltaïque de Ciminna (Palerme) puis vient le tour des Arata et de Paolo. Le député de Forza Italia est inculpé en 2020 pour corruption et blanchiment. L'affaire va remonter jusqu'à l'ancien responsable régional du ministère de l'Énergie, Alberto Tinnirello.
Une impression de déjà-vu se dégage, comme l'impression que tout ce qui compte dans l'élite économique, social et politique a croisé la route de Matteo et que seul les magistrats semble avoir été snobé lors de ces agapes. 

Même la police y a été invité. En avril 2019 le Parquet de Palerme procède à l’interpellation de deux enquêteurs spécialisés, accusés d’avoir fourni des informations confidentielles à des mafieux de la région de Trapani, proches de Messina Denaro. Le Lieutenant-Colonel des carabiniers Marco Zappalà, en poste à la Direzione Investigativa Antimafia (DIA) à Caltanissetta, et Giuseppe Barcellona, un carabinier de la Compagnie de Castelvetrano (le «fief» des Messina Denaro) sont donc soupçonnés d’avoir trahi la lutte anti-Mafia. Antonio Vaccarino, ancien maire de Castelvetrano, a également été arrêté. Déjà condamné pour trafic de drogue, l’ancien élu est accusé d’avoir fourni la retranscription d’une interception téléphonique entre deux mafieux de Trapani au boss Vincenzo Santangelo. Les carabiniers ont réussi à placer un micro dans le véhicule de l’ancien maire, assistant ainsi à la remise du document confidentiel à Santangelo. Le document originel a été transmis par mail par Barcellona à Zappalà et ce dernier s’est ensuite rendu dans le cinéma géré par Vaccarino à Castelvetrano. En 2007, arrêté pour concours externe à la mafia pour avoir échangé avec le boss en fuite, Antonio Vaccarino avait révélé travailler avec les services secrets italiens, qui ont confirmé cette collaboration. Zappalà pourrait donc utiliser à nouveau cette explication pour justifier cette violation du secret professionnel. 

A force de ratisser aussi large sur l'île, on a voulu nous faire croire qu'elle était devenue trop petite pour lui. En 2016 le Procureur anti-mafia de Reggio de Calabre soulève l'hypothèse qu'il soit dans sa région, protégé par les clans de la ‘Ndrangheta de la région de Reggio. 
En novembre 2019 ce sont 7 calabrais liés aux puissantes ndrine des Alvaro de Sinipoli et des Morabito d'Africo qui sont interpellés. Mais à l'évidence «U Siccu» ne se cache pas dans les grottes de l'Aspromonte, ce n'est pas le genre à se terrer dans un bunker.

"Protéger et servir"

Dans le même temps Antonello Nicosia un attaché parlementaire proche des Radicali Italiani (centre-gauche) a été arrêté pour association mafieuse. Antonello jouait les entremetteurs pour des proches de Matteo Messina Denaro. Attaché de la députée Pina Occhionero, il a profité de certaines inspections avec elle (dans le cadre d'un travail de commission) dans les prisons siciliennes pour se faire confier des messages par des boss mafieux à transmettre à l'extérieur. Mis sur écoute depuis plusieurs mois, Antonello a été surpris dans 1 conversation où il se moque du juge Falcone, qualifiant l'attentat de 1992 comme d'«d'accident du travail» et il a aussi été vu en compagnie d'un proche de Denaro en février, à Porto Empedocle: ils parlaient d’une somme d’argent à rendre au boss. 

Chaque réseau opère avec les même prérogatives, «protéger et servir» et ont l'apparence d'une longue chaîne que rien ne semble durablement briser, pas même la repentance du cousin par alliance de Matteo, Lorenzo Cimarosa, le seul membre de sa famille qui va le trahir. Interpellé en décembre 2013. Exaspéré des saisies et des descentes policières, Cimarosa a décidé de dévoiler une partie du réseau de protection entourant le parrain en cavale. L’entrepreneur a reconnu avoir versé 60.000 euros ces derniers mois pour financer la fuite du boss, dont 8.000 euros pour la première moitié du mois de décembre. A l'époque cette victoire semblait symbolique aux yeux des enquêteurs d'un système de protection à bout de souffle, au bord de la rupture. Il faut une discipline morale et physique de fer pour endurer de tels coups judiciaires mais mis à part Lorenzo tous les autres auront été d’une résilience absolue. Encaissant les arrestations, filatures, mises sur écoutes et condamnations. Ses sœurs cadettes Bice et Giovanna, après la condamnation de Patrizia, vont elles aussi connaître la prison en 2019 tout comme leurs maris. Tous ont continué à jouer les messagers pour leur frère. 

Patrizia (Antimafia duemilla)

Patrizia (Antimafia duemilla)

Supermarchés, gestion des déchets, secteur pétrolier, les jeux en ligne, du BTP, Énergie verte et même l'archéologie. C'est encore un pizzino de Matteo où il se vante «que son clan se finance par l’archéologie» qui va éclairer la lanterne des enquêteurs sur une affaire pas commune. 
En 2015 on découvre près de 5.000 pièces archéologiques dans 5 dépôts en Suisse, provenant de fouilles illicites et de vols sur des chantiers archéologiques, notamment en Sicile, dans la région de Trapani. 

L’opération a surtout permis de saisir les archives du réseau des trafiquants, soit 13.000 documents (photos, provenance, acheteurs, valeur,…) impliquant des hommes d’affaires, des antiquaires, des directeurs de musée.
Au coeur de ce réseau : Gianfranco Becchina, un marchand d’art basé à Castelvetrano (région de Trapani, dans l’ouest de la Sicile). Becchina, qui se présente comme mécène et collectionneur, possède également 2 cimenteries (en Grèce et en Sicile) et une marque d’huile d’olive. Ce grand collectionneur, déjà accusé de trafic d’objets archéologiques (mais les faits étaient prescrits) est en affaires avec le Louvre, le Musée de Monaco, le Metropolitan de New York, le Musée de Boston, le Ninagawa de Kurashiki, l’Ashmolean d’Oxford, le Musée d’Utrecht ou les Universités de Columbia, de Washington, de Princeton, de Yale,… Il était aussi présenté comme le fournisseur d’œuvres d’art pour la Maison Blanche, sous les Présidents Clinton et Bush. 

Depuis plusieurs années, il était pourtant soupçonné d’organiser un vaste pillage des zones archéologiques de l’ouest de la Sicile. Dans un pizzino, Matteo Messina Denaro se vante d’ailleurs que son clan se finance par l’archéologie. Le juge Paolo Borsellino et l’ancien Procureur de Palerme, Gian Carlo Caselli, ont mené des enquêtes sur les liens entre le marchand d’art et le clan mafieux.
En plus des dépôts en Suisse, l’opération des carabiniers et du FBI a permis de récupérer, en novembre dernier, dans un magasin du Queens, un sarcophage d’époque romaine. Surnommé «la Belle Endormie», ce sarcophage de 1.800 ans est évalué à 4 millions et on en avait perdu la trace depuis une trentaine d’années. Cette pièce a été saisie avant son expédition vers l’acheteur japonais, Noriyoshi Horiuchi, un proche de Becchina. (Repubblica ; Crimorg.com)
Fin 2017, la DIA va mettre sous séquestre son patrimoine notamment une aile du château de Castelvetrano. Le pentito Giusepep Grigoli va ensuite l'accusé d’avoir été un complice de Matteo.  Grigoli, 68 ans, le «roi des supermarchés», gérant exclusif des magasins «Despar» en Sicile avait été arrêté en décembre 2007 puis condamné à 12 ans de prison pour avoir été le «caissier» du boss de Cosa Nostra.

Réunion mafieuse filmée par un drone

Durant l'été 2012  un événement va trahir le malaise au sein des autorités suite à l'opération «Nuova Cupola» quelques semaines plus tôt et qui a visé le mandamento d’Agrigente. 49 mandats d’arrêt ont été émis dont 6 pour des personnes déjà incarcérées, pour association mafieuse, vol, extorsion, incendie, détention d’armes, blanchiment et dissimulation de biens. L’actuel capo-mandamento a également été arrêté : il s’agit de Leo Sutera, 62 ans, un ancien professeur d’éducation physique de Sambuca di Sicilia, récemment libéré de prison après 6 années. Problème le magistrat en charge de l'enquête sur Messina Denaro avait demander au Procureur de reporter l'opération car Sutera était une piste pour dénicher le boss. Il jouait en effet les messagers pour son compte et on avait pu filmer grâce à un drone un sommet mafieux entre Suetra et d'autres boss de la région de Trapani.
Ulcéré les 40 membres de la section du ROS (Raggruppamento Operativo Speciale, forces spéciales des carabiniers) chargés de la traque de «Diabolik» décident de quitter la Sicile. Cette affaire illustre le malaise entre les magistrats anti-mafia de Palerme. 

La brouille va se tasser mais elle est révélatrice des tensions entre services au fur et à mesure que le boss continuer d'échapper aux autorités dont la crédibilité est en jeu. 
Si les opérations de démantèlement des cercles de confiance du boss ne permettent pas de le débusquer, les rumeurs des repentis au tournant des années 2012-13 suggèrent pourtant bien le sentiment d'un homme traqué mais toujours aussi déterminé et même prêt à frapper de nouveau l’appareil d'état. 
Par 2 fois en juillet 2013 et en janvier 2014 les escortes du procureur de Palerme, Nino Di Matteo et de son adjointe Teresa Principato sont renforcées. 

Selon un indicateur, des rumeurs circulent à propos d'un possible attentat contre le Procureur, notamment en charge de l’enquête sur les tractations entre Cosa Nostra et certains représentants de l’État). Il a même précisé que 15 kg d’explosifs avaient été acheminés à Palerme et qu’une télécommande était prête à l’emploi. Par ailleurs, les autorités ont aussi reçu une lettre anonyme indiquant qu’un attentat était en préparation, autorisé par Matteo Messina Denaro et ses «amis romains». 
Concernant Principato, qui coordonne plus précisément le volet de l’enquête et la traque de Matteo Messina Denaro, c'est encore un informateur qui a prévenu que le boss mafieux cherchait à se procurer du tritole (un explosif).
Est-ce la même source qui en mai 2014 balance que «U Siccu» dispose d’un informateur au sein du Palais de Justice de Palerme ?
Et comment ne pas croire à cette histoire quand en 2015 une lamentable affaire de vol secoue les locaux de la magistrature palermitaine. Dans le bureau de Principato on a volé 1 PC et 2 clé usb d'1 Go chacune contenant des informations des interrogatoires de collaborateurs de justice et des rapports "couverts du secret préliminaire et actuel. Tout cela ne sera ébruité qu'en 2019 par Il Fatto Quotidiano au moment du procès en appel de la magistrate accusé d'avoir révélé une enquête à Calogero Pulici officier de la Gurdia di Finanza. Un temps accusé Après la découverte de matériel du même type chez lui, il a été constaté qu'il ne s'agissait pas de celui volé qui se trouverait encore dans la nature. Une bien sombre histoire. 

Arrêté le 23 septembre 2020 après une longue période de fuite, Alfredo Geraci, 41 ans, membre de la Famille mafieuse de Porta Nuova (quartier de Palerme), a décidé de collaborer avec la justice italienne. Il est présenté comme un homme de confiance d’Alessandro D’Ambrogio, boss du clan Palerme-Centre et du mandamento (circonscription mafieuse rassemblant plusieurs clans voisins) de Porta-Nuova. D’Ambrogio est incarcéré depuis 2013 sous le régime pénitentiaire durci de l’article 41-bis. Geraci avait notamment géré le racket dans le quartier Ballaro, de Palerme.
Il a notamment affirmé aux magistrats avoir prêté l’appartement dans lequel avait été organisé en décembre 2012 un «sommet» mafieux. Son boss D’Ambrogio lui avait révélé qu’au cours de ce «sommet», avait été discutée la demande de Matteo Messina Denaro d’éliminer le Procureur Nino Di Matteo, en charge notamment de l’affaire des négociations entre une partie de l’État italien et de Cosa Nostra («trattativa») et désormais membre du Conseil Supérieur de la Magistrature. Étaient présents à cette rencontre : Vito Galatolo (ancien boss du quartier de l’Acquasanta), venu spécialement de Venise ; Tonino Lipari, un homme du quartier de Porta Nuova et homme de confiance de D’Ambrogio ; Tonino Lauricella, chef de la famille Villabate ; Giuseppe Fricano, régent du mandamento de Resuttana. Geraci était présent pour assurer l’entrée de l’appartement aux boss. A l’issu, un stock de 150 kilos d’explosifs avait été acheminé depuis la Calabre et Messina Denaro avait fourni un «expert» en explosif. La charge devait être placée devant le Palais de Justice de Palerme ou devant la maison du magistrat. L’arrestation de D’Ambrogio a ralenti et le projet puis Galatolo a été interpellé et a décidé de collaborer en évoquant ce projet. Les déclarations de Geraci pourraient donc relancer l’enquête sur ce projet d’attentat, mais aussi de nouvelles pistes pour l’arrestation de Matteo Messina Denaro.

Le procureur Nino Di Matteo (Antimafia duemila)

Le procureur Nino Di Matteo (Antimafia duemila)

Les attentats à la bombe n'était pas la marotte du seul Toto Riina. «U Siccu» avait lui aussi envisagé de sa propre initiative de «bombarder» le site archéologique de Selinonte, qui se trouve chez lui à Castelvetrano. Nuire au tourisme et donc à l'économie de la Sicile était un corollaire de la stratégie de terreur contre l'état. A ses heures de folie Riina avait projeté de répandre des seringues contaminées par le SIDA sur des plages de Sicile. De quoi alimenter les légendes urbaines durant des décennies.

Viendra ? Viendra pas ?

Le soleil est radieux en ce jour de septembre 2014 un temps parfait pour la cérémonie qui va suivre à la Chapelle Palatine de Palerme. Un mariage princier ? Presque ! Un mariage entre progénitures mafieuses, la fille de Filippo Guttadauro et le fils de Giuseppe Sansone. Peu de chance d'y voir Mateo Messina Denaro le beau-frère de Filippo mais on sait jamais des agents sont aux aguets. On n'est plus à une incongruité près et voir le boss affublé d'une perruque pourrait valoir son pesant d'or. Mais non le culot n'a pas poussé jusque là. D'autant plus que la Chapelle se situe à l'intérieur du Palais des Normands qui deviendra quelques mois plus tard le nouveau siège de l'Assemblée Régionale de Sicile. Manquait aussi à l'appel le père Filippo et le frère de la mariée, Francesco, tous deux incarcérés pour association mafieuse.
Les autorités régionales ont eu tôt fait de préciser que la Chapelle Palatine était gérée directement par l’Église. Le prêtre qui a officié a déclaré qu’il n’avait fait qu’unir 2 jeunes personnes, ignorant tout de leurs familles puisqu’il n’avait pas demandé de «certificat anti-mafia».

Il restera toujours des inconnus quand au modus operandi et le déroulement point par point de cette cavale au long cours et l'arrestation du principal intéressé n'apportera sans doute pas toutes les réponses. 
Il y a toutefois une question qui bien qu'en suspens ne suscite pourtant plus d'interrogation. Quel a été la place de «Diabolik» dans l'échiquier ou plutôt la pyramide structurelle de Cosa Nostra ?
Au début de du 1er article l'affirmation du procureur romain sur le fait qu'il n'a jamais été LE boss a sans doute un fond de vérité mais le fait est qu'il a largement contribué au refaçonne de l'édifice mafieux ébranlé par le despotisme et la violence endémique. Ne nous méprenons pas, la réponse au despotisme de Riina la réponse n'a pas été l'arrivée de la démocratie. Cosa Nostra a été profondément chamboulé et à son ésotérisme d'antan a succédé un capitalisme forcené.
Matteo est le reflet de ça, le fils de, soldat sans foi ni loi aveuglé par son ego comme tout une génération de mafieux devenus des loups solitaires, presque trop dangereux même parfois pour un Toto Riina qui aura recours à plusieurs exécutions sommaires de «ses pires éléments» comme Giuseppe Greco. Son parcours l'a aussi fait devenir un affairiste, symbole d'une génération pour qui les tables de la loi mafieuse inscrites dans le marbre un soir d'octobre 1957 au Summit Hotel Palm de Palerme ont fait œuvre de profession de foi : L'argent-roi.

Après le décès de Toto Riina le 17 novembre 2017 les spéculations allaient encore bon train sur l'identité du successeur. Comme si les dernières années n'avaient prouvé que la place de Superboss avait abandonné, à son corps défendant, par le trapu de Corleone. 
Isolé à la prison Opera de Milan, toujours éructant et croyant dur comme fer jusqu'à la fin avoir encore le destin de Cosa Nostra entre ses mains. Ses mains ne détenaient plus le sceptre du pouvoir et le vieux parrain a eu à subir l'ultime injure d'avoir été piégé par un micro placé sur un camarade de promenade qu'on lui avait affublé. On y entend un homme se pensant toujours puissant et ayant droit de vie et de mort sur ses congénères. La défiance avait déjà gagné les rangs de ses derniers «fidèles» et même avec son ex comparse Bernardo Provenzano les relations s'étaient grandement dégradées.

Mais les autorités anti-mafia sicilienne en mai 2018 ont de nouveau établi une liste de puissants parrains pour tenter d’identifier le futur grand chef de la Mafia sicilienne.
Stefano Fidanzati, né en 1948 et frère de Gaetano Fidanzati, boss du quartier de l’Arenella, décédé à Milan en 2013 à l’âge de 78 ans, Stefano qui bénéficie de la confiance des clans calabrais de Reggio de Calabre, des principaux clans de la Camorra mais aussi de contacts au sein de la pègre romaine et des clans des Pouilles.
Cosimo Vernengo, fils du boss Pietro Vernengo (chimiste de l’héroïne), il entretient d’excellents contacts avec la Mafia italo-américaine.
Salvatore Giuseppe Raccuglia. Né en 1959, et cousin de Domenico Raccuglia.
Antonino «Scintilluni» Lauricella, né en 1954. Considéré comme le chef du racket à Palerme-centre.

Que des palermitains encore une fois. 

Quelques mois plus tard en juillet les carabiniers sont témoins d'une réunion à Castellammare del Golfo entre Accursio Dimino, chef de la Famille de Sciacca, Sergio Gucciardi (propriétaire de deux bars à New York) et Stefano Turriciano sicilien d'origine parfaitement anglophone après des décennies de vie aux USA. Ce dernier avait été contrôlé en 2007 à l’aéroport de Palerme avec Franco Salvatore Montagna du clan Bonanno, abattu à Montréal en novembre 2011.
Si les Gambino sont liés presque historiquement aux familles palermitaines, les Bonanno ne sont pas en reste et les carabiniers vont remplir des carnets entiers sur l'intensité des échanges et les visites très fréquentes d'éminents made man de Big Apple entre 2018 et 2020. 
Sur place c'est toujours le même homme qui les accueille, la moustache grisonnante, l'œil morne, le crane dégarni et en chemise Lacoste, il ne paie pas de mine mais Francesco Domingo 64 ans, est pourtant le boss de Castellammare del Golfo et un fidèle de Messina Denaro. «Tempesta» comme il est surnommé a déjà purgé deux peines pour association mafieuse. En juin 2020 il est arrêté avec 12 complices. Des perquisitions sont aussi menées au domicile et au bureau du maire de Castellammare del Golfo, Nicola Rizzo, élu en 2018 avec 2463 voix, obtenu avec une liste civique de centre-droit. Il a été inculpé de concours externe à la Mafia. En 2006, la municipalité de Castellammare avait déjà été dissoute en raison d’infiltrations mafieuses. Pourtant, le maire Rizzo était devenu depuis devenu le symbole d’une nouvelle voie anti-mafia dans la province de Trapani. Une vision qui ne semble désormais pas partagée par les magistrats anti-mafia. (LiveSicilia Crimorg.com)
Le 12 décembre 2022 il est condamné à 30 ans. 1 mois plus tard son patron est interpellé.

Francesco Domingo (Giornale di Sicilia)

Francesco Domingo (Giornale di Sicilia)

Quasi simultanément les carabiniers assistent le 27 septembre 2018, à l’arrivée à l’aéroport Falcone-Borsellino de Palerme d’un membre du clan Gambino : Ernest Grillo (accompagné de sa fille Casey Grillo et de sa compagne Anna Kosmider). Il est accueilli avec les honneurs et accompagné jusqu’à une villa (avec piscine) de Mondelo (nord de Palerme), louée pour l’occasion. Dans la chambre, un cadeau de bienvenue : 5 grammes de cocaïne.
Il ne va rester qu'un semaine où il aura pu rencontré Raffaele Di Maggio boss de Torretta ain si qu'un italo-américain déjà dans le collimateur du juge Falcone au début des années 90 dans un dossier de cocaïne entre la Sicile et les USA.
Il faut attendre juillet 2021 pour voir l'arrestation à Torretta de son boss Raffaele Di Maggio et plusieurs de ses proches. Entre-temps le boss des Gambino Fank Cali a été assassiné en 2019 de façon rocambolesque par un «no name» trumpiste harcelant sa nièce. 
Après l'agitation initiale qui faisait craindre à tous des deux côtés de l'Atlantique à une guerre mafieuse dévastatrice, le calme est revenu. Et les successeurs de Cali qui a suivi la lignée atlantiste des Cefalu, Riccardo et son neveu Domenico (boss de 2011 à 2015) ont poursuivis l'effort de rapprochement. Et ce même si on ne sais pas trop qui a pris la suite de Frank, Peter One Eye» Gotti, le frère cadet de John a été évoqué jusqu'à son décède en détention en février 2021 mais aussi Joseph «Captain» Lanni, un «jeunot» de 49 ans déjà en affaire avec Pietro «Big Pete» Inzerillo dans un site de paris en ligne.
Lorenzo «Lorenzino» Di Maggio, affidé de Matteo Messina Denaro et principal  facteur du boss fait partie des interpellés.

Sicilien à l'accent scouse

La dernière opération d'envergure qui va viser «U Siccu» se déroule en septembre 2022. 35 personnes interpellées et au total, 70 personnes inculpées. Les interceptions téléphoniques montrent que Messina Denaro intervient lors des nominations à la tête des clans de la région, il s'agit bien d'une preuve qu'il est toujours de ce monde.
Au coeur de l’opération, un fidèle du parrain : Francesco Luppino, haut-fort de la région de Trapani, faisant le lien avec les Familles de Palerme pour le compte du fugitif. Luppino et son réseau géraient des activités d’extorsion, de contrôle des appels d’offres, de trafic de drogue, de jeux illégaux, de recouvrement de dettes et de gestion monopolistique de la sécurité des établissements de nuit. 

L'année précédente à la même époque, un frisson avait parcouru les agences de presse internationales.
Le superboss fugitif depuis 26 ans était annoncé être tombé entre les mains de la police. Pas la sicilienne mais la néerlandaise !!! L'information laisse pantois les spécialistes dont votre serviteur tellement elle semble improbable. Qu'aurait-il fait aux Pays-Bas ? On le sait amoureux des bagnoles mais on envisage pas une minute qu'il s'y soit rendu pour voir le Grand Prix de Zandvoort. 
Et pourtant si c'est bien un fan de F1 qui a été appréhendé ce n'est pas du tout celui que l'on croit. Mark L. n'est ni un mafieux, ni en cavale et encore moins italien. «Avoir un tel accent de Liverpool en étant italien aurait tenu du génie», dira son avocat cité dans un article de l'AFP.

Comment a-t-on on pu ânonner une bêtise pareille ? Surtout que le pauvre homme interpellé de façon musclée alors qu'il mangeait au restaurant avec son fils à La Haye a été incarcéré durant 3 jours !! Et pas n'importe où à la prison de Vught, lieu de sécurité maximale réservé au grands timoniers du crime batave et international. Après une nuit en cellule il est autorité à contacter son avocat, et Leon Van Kleef entre en scène. Ce dernier s'attendait vraiment à voir le boss sicilien lui qui est rompu à la défense des plus gros trafiquants du pays ? Le plus fou dans l'histoire  c'est que Leon lui-même n'avait aucune idée à quoi ressemblait le boss sicilien. Mais par contre il avait une bonne idée de qui était Mark car visiblement ils auraient eu des amis communs, des ex-clients du baveux ! Comme quoi, Mark qui vit par ailleurs en Espagne, aurait eu des drôles de de fréquentation. 
L'avocat a ensuite présenté au ministère public des documents (passeport et certificat de mariage) comme preuve du fait que l'homme emprisonné n'était pas le fugitif notoire le plus recherché d'Italie Après 2 nuits en calèche, il a été libéré avec des excuses d'Interpol et du parquet néerlandais.

Un signe de vie en 2009

Aucune photo de Mark, heureusement pour lui, n'a circulé. Ressemblait-t-il vraiment à à ce portrait robot vieilli qui circule dans les services ? 
Car oui l'image d'un Matteo fringuant et en pleine jeunesse trahit un fait, les photos datent de l'ère des appareils Reflex Canon. 
Au demeurant les derniers portraits robots réalisés étaient proches de la réalité. Cette dernière «mise à jour» avait bénéficié d'images inédites du boss prises en décembre 2009 et seulement dévoilées par TG2 en septembre 2021 quelques jours après le fiasco de La Haye. 
Il s’agit d'une courte vidéo prise par une caméra de surveillance dans la campagne de Santa Margherita Belice, dans la province d’Agrigente, près du domicile de Pietro Campo, boss local et fidèle de Messina Denaro. Pour les enquêteurs, le passager de cette Jeep Pajero serait bien l’homme le plus recherché d’Italie.
Quelques jours après la diffusion de cette image, les autorités anti-mafia ont mené une opération ciblant les proches du parrain en fuite : 20 personnes ont été interpellées dans les provinces de Palerme, Trapani et Agrigente. Parmi les personnes arrêtées on trouve notamment Calogero Giambalvo, ancien conseiller municipal de Castelvetrano, déjà arrêté pour ses liens avec Messina Denaro… et acquitté. On trouve également Giovanni Campo, le fils de Pietro Campo, l’homme chez qui le parrain s’est sans doute rendu quand il a été filmé. Sa présence dans cette partie de l'île sous contrôle de la Stidda prouve les liens privilégiés de Matteo avec une organisation qui n'est pourtant pas connu pour son appétence pour les corleonais. Il a pourtant été vérifié qu'il bénéficiait d'un canal de communication important.  

Un coopérateur de justice l'affirme. Matteo Messina Denaro serait malade et chercherait à se rendre aux autorités. 
Salvatore Baiardo n'est pas n'importe qui. Ce glacier piémontais d'origine sicilienne a été l’homme de confiance des frères Graviano, des intimes du boss, lors de leur cavale dans les 90's. Dans un épisode de l'émission «Non è l'arena» qui portait principalement sur les liens de Sivlio Berlusconi avec Cosa Nostra, diffusé le 8 novembre 2022 alors qu'il évoque le sort de Giuseppe, condamné à perpétuité, il dévie sur le sort de Mateo Messina Denaro. «Supposons que Matteo, qui est très malade, passe un marché pour se rendre pour faire une arrestation sensationnelle ? (sia molto malato e faccia una trattativa per consegnarsi lui stesso per fare un arresto clamoroso?)

Il est un des premiers à utiliser les termes «date de péremption», l'idée que Denaro sera arrêté au moment voulu "on verra quand l'échéance sera bonne (…) c'est clair que ce sont des choses préétablies» (Si vede che alla scadenza giusta… ci sarà una scadenza magari anche per questo personaggio, vedremo (…) Si vede che sono cose prestabilite"). 

«Il est commode de dire qu'il est porté disparu ou mort (…) à la limite tu le cherches et tu le trouves, tu fais en sorte de ne pas le trouver (…) regardez Provenzano, combien de fois ont-ils dit qu'ils allaient l'arrêter et qu'il ne l'ont pas fait» (Chi dice che è sparito o morto… fa comodo dirlo... poi al limite che lo si cerca e lo si trova si fa in modo di non trovarlo (…) guardi Provenzano, quante volta hanno detto che doveva essere arrestato e non lo hanno mai arrestato).

La maladie de Matteo n'a jamais été évoquée ni même suggérée, en tout cas publiquement, par la DIA sicilienne. Pourtant le jour de son arrestation le 16 janvier 2023 à la clinique privée de La Maddalena à Palerme on apprend très vite qu'il s'y rendait depuis plus d'un an, sous un faux nom bien sûr, celui d'un complice médecin. Il faisait même partie du groupe WhatsApp des patients traités comme lui pour un cancer du côlon. Un mal dont un de ses proches, au moment où j'écris ces lignes, vient de décéder début février, le repenti joaillier Francesco Geraci (dont on a parlé dans le 1er chapitre). Les liens de Matteo avec des membres haut placés du milieu médical ont sans doute été déterminant pour qu'il ait pu avoir accès en toute discrétion aux services de cette unité de soin haut de gamme. Un autre lièvre à soulever.

Plus haut dans l'article j'ai évoqué que dès l'année 2013, Rosalia était devenue LA passeuse d'ordres. En cette qualité elle a vu passer de très nombreux messages et  pour une raison encore inconnue, elle s'est permise d'en garder quelques uns ou d'en faire des retranscriptions. 
Ce serait un justement un pizzino écrit par Rosalia qui aurait amené les forces de l'ordre à l'interpellation de Matteo à la clinique La Maddalena. C'est ce qui ressort de l' ordonnance d'application d'une mesure conservatoire contre Rosalia Messina Denaro qui est arrêtée le 3 mars 2023 2 jours avant la publication de cet article. 
Selon l'ordonnance, c'est le 6 décembre 2022 qu'une note relative à l' état de santé d'un sujet non identifié à ce moment-là (mais qui ramenait probablement à Messina Denaro) a été retrouvée chez Rosalia. La découverte a eu lieu à l'occasion "d'un accès restreint au domicile par les Carabiniers pour y installer des micros et des caméras à l'intérieur» et «à l'intérieur d'un pied creux d'une chaise en aluminium, les techniciens qui tentaient d'y placer un micro auto-alimenté sont tombés sur le message qui y était caché». Ces derniers mois des écoutes téléphoniques avaient permis d'apprendre que Matteo souffrait de la maladie de Crohn. Le rapprochement a ensuite permis vraisemblablement d'effectuer des repérages dans les cliniques spécialisées afin d'y retrouver le fugitif. 

Capture de Matteo Messina Denaro (TPI)

Capture de Matteo Messina Denaro (TPI)

A présent les enquêteurs vont tenter de dérouler la pelote de laine, on va perquisitionné ses cachettes dont deux ont déjà été découvertes à Campobello di Mazara à une petite dizaine de kilomètres au sud de Castelvetrano, au moment de l'écriture de ces lignes. Le gland ne tombe jamais bien loin du chêne sera la dernière Lapalissade utilisée dans cette article.
Un «facteur à pizzini» négligent avait été interpellé courant juin 2020 à une vingtaine de kilomètres de là. Les pizzini devaient être détruits après lecture et une réponse devait y être apportée dans les 15 jours. Plusieurs autres messages seront retrouvés chez des proches et surtout chez sa sœur Rosalia qui en avaient gardé par devers elle. Les plus grandes faillites ont toujours été basées sur la confiance. 

D'autres fidèles vont être «cuisiné» et en premier lieu son médecin personnel Alfonso Tumbarello,  son cousin géomètre Andra Bonafede qui lui a «prêté son nom» et Giovanni Luppino qui se trouvait avec lui à la clinique le jour de l'arrestation. Une habitude qui a eu la vie dure. Déjà en 1996 un très proche ami de Matteo, Paolo Forte, entrepreneur de Castelvetrano, avait fini en zonzon pour avoir fourni une fausse identité au boss. Après sa sortie, Forte a longtemps été pisté par les autorités qui pensaient qu'il allait les mener droit à la cache du boss. Il ne sera plus jamais arrêté car il décède en octobre 2012 quelques semaines avant l'opération Eden qui a démantelé une bonne partie du village. Une opération qui en connaître bien d'autres.
Cette fin de cavale n'effacera pas des années d'incohérences, parfois de vrais défaillances et même de corruption au sein des services de sécurité dévolus à cette traque qui semblait ne pas connaître de fin.

Et personne n'imagine que le boss de l'ouest se mettre à table et déballe tout ce qu'il sait aux autorités d'autant plus qu'avec sa nièce comme avocate, qui à 44 ans est déjà rompue aux joutes judiciaires depuis une décennie qu'elle s'occupe de toutes les affaires de ses tantes, oncles et cousins. 
Il ne s'agit là que le début d'un nouveau chapitre sûrement pas la fin d'un livre. Des livres qui ne manqueront pas de fleurir dans les mois à venir.

 

 

Sources : Repubblica ; LiveSicilia ; Corriere della Sera ; Gazzeta del Sud ; L'Espresso ; Crimorg.com ; Fanpage.it

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