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Si ça ne vient pas de l'AFP c'est que ça n'est pas réellement arrivé!


Les Iaquinta dans les pas de la 'Ndrangheta (article publié sur Outsider mag en mars 2015)

Publié par Desmoulins sur 26 Mai 2018, 13:46pm

Catégories : #Sport, #Outsider

On dit souvent en Italie que dans le Mezzogiorno si vous avez 4 fils, l'un sera footballeur, un autre sera policier, un autre prêtre ou politicien et le dernier sera un mafieux. Ca ne fait pas seulement sourire au Nord de l'Italie, la blague est éculée mais révélatrice d'un contexte social bien affirmé. Les footeux grandissent dans les mêmes quartiers que les mafieux c'est courant et ça n'a pas à choquer quiconque. Ces histoires sont nombreuses mais celle des Iaquinta détonne, déjà par le niveau footballistique du fiston mais aussi par son degré de collusion. Ou comment se retrouver à taper le carton simplement avec des boss mafieux...

La famille (papa Giuseppe et fiston Vincenzo) est originaire de Crotone en Calabre. Crotone est plus connu pour être la ville des frères Zumpano de la Banda Magliana (pègre romaine) que pour son front de mer et son musicien maison Lino Patruno. 
Bref Crotone c'est Stoke City avec une plage, or papa Iaquinta l'a bien compris et dans les années 90 il part s'installer en Emilie-Romagne.  C'est là que fiston Vincenzo va taper la ba-balle, d'abord au club de Reggiolo jusqu'à ses 19 ans avant le grand saut en Serie B à Padoue, bref l'ascension débute pour Vincenzo : Udinese, Juventus, 46 sélections, CDM 2006 etc... Une belle et grande carrière qu'il stoppe en 2013. 2013 c'est justement une année charnière pour la famille Iaquinta, celle qui va la consacrer comme en odeur de mafia. 

(rmc)

(rmc)

L'entreprise familiale retiré de la «white list»

En Italie, certains secteurs de l'économie sont régis par des règles très strictes afin d'éviter à des entrepreneurs peu scrupuleux de se retrouver à la tête de marchés publics et ceci afin d'éviter toute collusion mafieuse, bien évidemment.
Giuseppe Iaquinta est un entrepreneur en BTP, gérant l'entreprise «Costruzioni Iaquinta». A noter que Vincenzo ne participe pas à ces affaires là... En juillet 2013, c'est la catastrophe pour Giuseppe. Le Préfet d'Emilie-Romagne décide de retirer son entreprise de la fameuse «white list». Cette liste recense les entreprises aptes à répondre aux appels d'offre pour les travaux de reconstruction suite au tremblement de terre qui a touché la région fin mai 2012 (27 morts). Dès lors c'est un signe d'opprobre qui va coller à l'entreprise.
Le Préfet s'est appuyé sur un rapport de police qui a pointé plusieurs faits inquiétants et suffisament éloquents pour donner des sueurs froides aux autorités locale.
Tout d'abord la présence de Giuseppe Iaquinta a une réunion en mars 2012 réunissant plusieurs élus locaux, entrepreneurs et mafieux (dont Nicolino Sarcone, un membre du clan Grande Aracri de la Ndrangheta, mafia calabraise et déjà condamné à 8 ans et 8 mois de prison pour association mafieuse). C'est le genre de choses qui font tâche ce genre de réunion tuperware où on se partage les marchés.
Autre fait aggravant, un véhicule de sa société a été vu aux funérailles des frères Giuseppe et Alfredo Grisi, abattus en janvier 2011 à Crotone et déjà connus pour extorsion, trafic de stupéfiants et aide à l’immigration irrégulière. Bon là en fait il y a une explication logique car Giuseppe s'est remarié il y a maintenant quelques années à Vittoria Sorrentino, la sœur de Rosario Sorrentino, ndranghetiste porté disparu ( par lupara bianca, disparition corps et biens) depuis août 2000 dans le cadre d'une guerre entre les clans Dragone et Grande Aracri (deux clans de Cutro dans la Province de Crotone). 
Pour compléter le tableau familial le neveu de Giuseppe (et donc cousin de Vincenzo), Gaetano Belfiore est le compagnon de Nikol Valentina Grande Aracri, fille de Nicolino «Mano di Gomma» Grande Aracri, boss du clan.

Nicolino «Mano di Gomma» Grande Aracri (Ansa)

Nicolino «Mano di Gomma» Grande Aracri (Ansa)

Mantova FC c'est mon dada

Avec ce background, on se demande comment Giuseppe a pu bosser aussi longtemps sans éveiller des soupçons et heureusement que Vincenzo a déjà arrêté sa carrière quand les scandales éclatent parce que être joueur de la Juventus et avoir un père en odeur de mafia alors là la boucle était bouclée il n'aurait plus manqué un petit-fils Iaquinta baptisé «Calciopoli» et même Silvio Berlusconi se serait fait tatouer le logo de la Juve sur la fesse droite.
Malgré tout ça, Giuseppe ne se démonte pas, appliquant l'adage italien du «plus c'est gros plus ça passe», il s'associe à un groupe d'entrepreneurs dont Piervittorio Belfanti, pour racheter 55% des parts du Mantova Football Club. Peine perdue car les élus locaux ne veulent pas d'eux, Luigi Gaetti , Président de la commission antimafia de la ville de Mantoue s'est ému de la liste de noms composant ce groupe d'entrepreneurs. Finalement les 55% sont vendus à Nicola Di Matteo, originaire de... Caserte (ville à 30 km de Naples) moué l'avenir dira si Mantova est tombé de Charybde en Scylla.

Le coup de grâce pour les Iaquinta arrive fin janvier 2015. Les carabiniers mènent l'opération «Aemilia» contre le clan Grande Aracri de Cutro. 117 mandats d'arrêt sont délivrés par le Parquet antimafia de Bologne (Emilie-Romagne) et 46 autres par le Parquet antimafia de Catanzaro (Calabre). Près de 200 personnes sont également inculpées mais laissées libres. Les accusations portées sont association mafieuse, 1 homicide, 2 tentatives d'homicide, extorsion, trafic d'armes, vol, recel, usure, faux bilans et blanchiment.
Tous les leaders du clan sont arrêtés, Nicolino Grande Aracri, déjà incarcéré, ses frères Domenico (avocat pénaliste) et Ernesto Grande Aracri, de même que Nicolino Sarcone, régent du clan pour Reggio-Emilia (faction ayant une autonomie opérationnelle et financière).
Un réseau énorme tombe. Un avocat de Rome a également été arrêté, accusé d'avoir approché un magistrat de la Cour de Cassation en vue d'influencer un procès. Le clan avait pour projet de blanchir de l'argent dans un programme immobilier de 1 182 logements en Algérie. 

(Labaro Viola)

(Labaro Viola)

La litanie des accusations pourrait s'arrêter là mais non.

Des entrepreneurs font partie du lot des interpellés dont Giuseppe Iaquinta, bien sûr, accusés d'avoir illégalement obtenu des marchés publics post-tremblement de terre de la région de Modène en mai 2012. Le clan calabrais est également soupçonné d'avoir influencé ou tenté d'influencer les élections municipales de Parme en 2002 et 2007, de Salsomaggione en 2005, de Sala Baganza en 2011 et de Brescello en 2009. Un conseiller municipal Forza Italia de Reggio-Emilia a aussi été interpellé, alors que le maire de Mantoue, Nicola Sodano et l'ancien Président du Conseil Municipal de Parme, Giovanni Bernini ont été inculpés. 3 anciens carabiniers, 3 policiers et un journaliste ont également été arrêtés. L'enquête concerne des cas d'intimidations sur des victimes de racket mais aussi sur une journaliste du journal «Resto del Carlino», par ailleurs correspondante d'ANSA l'agence de presse italienne.
Des biens estimés à 100 millions d'euros ont été saisis : 70 sociétés, 205 immeubles, 15 voitures de luxe, 65 terrains et 137 camions et engins de chantier. 
Une perquisition a aussi été mené chez Vincenzo (qui lui n'a pas été interpellé dans l'affaire il faut le préciser) où des armes illégalement détenues ont été saisies. 
Seulement voilà, cette perquisition va s'avérer fructueuse pour les policiers et angoissantes pour les Iaquinta.
Les enquêteurs découvrent des photos de lui lors de repas, en Emilie-Romagne et en Calabre, en compagnie du parrain du clan, Nicolino Grande Aracri. Sur les photos (qui ont filtré sur facebook quelques jours après) figure aussi Alfonso Paolini, présenté comme le «responsable des relations publiques» du clan dans le nord de l'Italie. C'est lui qui est chargé de développer les contacts avec les entrepreneurs, les policiers et les hommes politiques. Les écoutes téléphoniques montrent que, pour cela, Paolini disposaient d'un réseau de contacts permettant d'offrir des billets pour des matchs, des autographes de joueurs, des produits dérivés,... Parmi ces contacts, outre Vincenzo Iaquinta : Gennaro Gattuso (né en Calabre) et Franco Caravolo (originaire de la province de Crotone, il a été un dirigeant, à divers postes, des clubs de Naples, Turin, Rome, Juventus, QPR, Livourne, Arezzo, Sienne, Guangzhou, Evergrande et Palerme). Le même Ceravolo qui a fait venir Lippi et ensuite Fabio Cannavaro en Chine (certains ont dit pour l'aider à fuir ses problèmes avec le fisc, mauvaises langues qu'ils sont) En totu cas les frérots Cannavaro ont été condamné à de la prison (avec sursis) pour avoir pénétré dans la villa saisie de Fabio il y a quelques mois. A savoir qu'aucune charge ne peut cependant être retenue contre ces figures du monde sportif.

La liste d'accusations de cette enquête donne le vertige, l'impression que les Iaquinta n'ont fait que mettre un orteil dans l'engrenage d'un réseau mafieux performant au plus haut niveau preuve d'une emprise sur les consciences de beaucoup d'italiens à qui ont répète «ne touche pas à la mafia» mais qui ne peuvent s'empêcher d'y mettre les mains. Comme Balotelli qui défile en ville avec un parrain camorriste à Naples, comme Miccoli qui passe ses vacances avec un fils de boss mafieux. Les Iaquinta se sont fait mousser avec de drôles d'amis mais comme on dit en Sicile «Chi non ha amici, Non fa gran fortuna». («Sans amis, on n'arrive pas à une grande fortune»).

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