Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog

Blog à part

Si ça ne vient pas de l'AFP c'est que ça n'est pas réellement arrivé!


"Décret covid" en Italie. Explications d'un fiasco administratif.

Publié par Desmoulins sur 30 Juin 2020, 16:59pm

Catégories : #Mafia, #Actualités, #crime organisé, #Italie, #Justice

C'est un véritable tollé qu'a provoqué la diffusion de la liste des 376 mafieux placés en résidence surveillée. Une liste décidée par plusieurs magistrats italiens au regard des risques sanitaires dus au covid-19. Si beaucoup d'observateurs ont mis en accusation la désinvolture avec laquelle on a décidé de cette liste, les autorités ont eu bien du mal à faire leur mea culpa. Retour sur un imbroglio administrativo-judiciaire d'ampleur nationale.
La liste dévoilée début mai après un mois d'avril qui a vu des assignations et des sorties de prison quotidienne a surpris son monde mais pas les magistrats anti-mafia et journalistes qui tiraient la sonnette d'alarme depuis plusieurs semaines. 
Près de 9.000 détenus, dont 376 mafieux, notamment 4 boss qui étaient détenus sous le régime 41 bis (régime carcéral anti-mafia spécial) font partie des personnes ayant «bénéficié» du décret. C'est une magistrature de surveillance qui a accordé ces libérations provisoires.
Les 4 «41bis» sont le camorriste Pasquale Zagaria, les siciliens Vincenzo Di Piazza et Francesco Bonura, et le calabrais Vincenzino Iannazzo. En détention les détenus les plus dangereux sont classés  en trois catégories «Haute Sécurité 1 2 et 3», Les condamnés pour association mafieuse sont placés en «Haute Sécurité 3».
A noter qu'aucun détenu en «Haute Sécurité 2» n’a été libéré : il s’agit essentiellement de condamnés pour des faits de terrorisme. 
L'article 41bis qui concerne uniquement les détenus boss ou dirigeants de clans mafieux ou de réseaux de trafiquants stipule un isolement total. Sans aucun contact avec les autres prisonniers et dès lors avec l'extérieur. Ce régime là permet déjà de diminuer drastiquement les risques.

Le scandale a été si grand que le Directeur de l’Administration Pénitentiaire, Francesco Basentini a démissionné et a été remplacé par Bernardo «Dino» Petralia, 67 ans. Ce sicilien, ami du juge Giovanni Falcone, était, depuis 2017, Procureur Général à Reggio de Calabre, et était auparavant Procureur Adjoint à Palerme. Il sera accompagné de Roberto Tartaglia, un autre ex procureur anti-mafia. La tâche sera grande pour démêler les tenants et aboutissants provoqués par ce que les journalistes appellent désormais le «décret covid».

Francesco Basentini (RaiNews) ; Bernardo Petralia (Penitenziaria.it)Francesco Basentini (RaiNews) ; Bernardo Petralia (Penitenziaria.it)

Francesco Basentini (RaiNews) ; Bernardo Petralia (Penitenziaria.it)

Petit retour en arrière. Le 17 mars dernier le Conseil des Ministres italien adopte le décret Cura Italia pour faire face à la pandémie. Ce décret contient surtout des mesures économiques notamment 25 milliards d'euros alloué pour soutenir des entreprises et les familles. Mais le Gouvernement a fait intégrer des mesures déjà utilisées par les autorités pénitentiaires le 21 mars. Ces mesures avaient fait l'objet de circulaires qui avaient pour but de contenir et gérer l'urgence épidémiologique en limitant les accès aux lieux de détentions. Comme l'explique Claudio Paterniti Martello de l'association Antigone qui milite pour la protection des droits et de la légalité dans le système pénal, à Prison-insider le 25 mars (mais article paru le 23 avril).

«Les activités liées à la réinsertion, qui impliquent des interactions avec le monde extérieur, ont été suspendues ; les activités extérieures et intérieures ont été limitées ; les entrées d’enseignants, de bénévoles, de formateurs venant de l’extérieur ont été suspendues. Mais la mesure la plus importante (...) a été la suspension des parloirs, sauf pour les avocats. Les visites ont été remplacées, quand on le pouvait, par des conversations par téléphone, Skype et WhatsApp.(...) Au fur et à mesure de la propagation du virus, des mesures se sont ajoutées, concernant l’utilisation de masques et d’équipements de protection individuelle par le personnel, des tentes de pré-triage montées à l’entrée des établissements, des fournitures extraordinaires de désinfectants». 

Tout ce processus en a résulté des applications inégales au gré des services pénitentiaires et ne réglait pas le problème interne le plus important, comment réduire la sur-population carcérale afin de réduire les risques de contagion.
En 2019, les chiffres sont éloquents. L'Italie était sur une capacité maximale de 50 581 détenus et il y  en avait 59655, soit une surcapacité de 17,9 % selon les données de l'administration pénitentiaire. La prison la plus surpeuplée s'avère celle de Poggioreale (Naples) 2296 détenus pour une capacité de 1638 (40,2%) ; la 2ème Rebibia à Rome 1505 pour 1167 (29%) ; Le Valette dans le Piémont, 1398 détenus pour 1062 places (31,6%) et 4ème position pour la prison Opera de Milan avec 1351 détenus pour 918 places (47,2%). 
Les mesures concernent exclusivement les prisonniers définitivement condamnés. Ce qui est le cas de 70% des détenus mais quid des 30 restant ? 
Dans la liste des 376 affidés mafieux "libérés", 61 détenus venaient de Palerme, 67 de Naples, 44 de Rome, 41 de Catanzaro 38 de Milan ect...
Il y a eu clairement un manque dans la gestion de la crise, un manque de moyen et de communication.
Comme le souligne Claudio Parterniti Martello "La dynamique, les principes et les finalités de la loi en vigueur doivent être repris et renforcés : la qualité et l’uniformité des interventions et des prestations sanitaires à l’égard des personnes détenues, des personnes internées et des mineurs soumis à des mesures restrictives doivent être assurées".
Les mesures péremptoires du début de la crise sanitaire (avant l'adoption de Cura Italia) comme la suspension des droits de visite, des suspensions d'audience, la pénurie de produits désinfectants, l'absence d'eau pour se laver qui perdurent dans certains établissements, l'interdiction de l'usage de gel hydro-alcoolique entre autres choses ont eu tôt fait de mettre le feu au poudre.

Cellule d'une prison de Poggioreale (Paris Match)

Cellule d'une prison de Poggioreale (Paris Match)

Résultat du manque de moyens mis en œuvre et de l'iniquité des mesures, le 9 mars, une mutinerie se déclenche à la prison San Vittore à Milan. Selon le journal Il Fatto Quotidiano les détenus se sont emparés de plusieurs étages. La veille c'est tout une série de protestations qui avaient éclaté dans plusieurs prisons partout dans le pays. 
A Modène, trois prisonniers sont annoncés morts mais il ne s'agirait pas de violences mais d'overdoses selon les autorités. Plusieurs détenus et gardiens ont aussi été blessés. A Frosinone, Naples, Palerme et Alessandria, même constat de violences. A Foggia, 77 prisonniers ont réussi à s'évader dont des membres de la mafia de Gargano  et seule une vingtaine d'entre eux ont été rattrapés. 
«Au total 6 prisonniers sont morts lors de manifestations dans les prisons du nord du pays: 3 à Modène, 1 en Alessandria, 1 à Vérone et un dernier dans une petite prison dont je ne peux pas révéler le nom», explique Aldo Di Giacomo le porte-parole national du syndicat de la police pénitentiaire (SPP). Selon lui les overdoses sont dus aux pillages des pharmacies lors des émeutes et le vol de méthadone. A Pavie, des prisonniers ont pris deux gardiens de la prison en otage qui ont été libérés après négociation. 
En tout ces violences vont faire 14 morts, dont 9 à Modène et 3 à Rieti, majoritairement des overdoses diront les autorités embarrassées, une première dans l'histoire de la république italienne comme le rappelle Claudio Paterniti dans la même interview.
Le courroux des détenus s'estimant lésé face à la menace a surpris tout le monde. Cela a été une problématique mondiale par ailleurs, la Colombie, le Mexique, La Russie, l'Angleterre et bien d'autres pays connaîtront eux aussi des émeutes pour les mêmes raisons.

Ce décret serait une suite ou plutôt une réponse aux tensions observées en prison dès l'annonce des risques de pandémie sur le territoire ?! Loin s'en faut. 
La question de la santé des prisonniers est en droit d'être posée et considérée. Elle ne peut être négligée. Le fait qu'il s'agisse d'une population à risques à cause de la promiscuité et de la présence de nombreux détenus aux âges avancées font des prisons des lieux à surveiller encore plus particulièrement. 
A la fin du mois d'avril, 159 détenus et 215 personnels pénitentiaires avaient été contaminés. 
Dès lors plusieurs mesures de Cura-Italia vont se faire fort de déclencher la polémique cette fois à l'extérieur de la prison.
La première des deux mesures spécifiques du décret Cura-Italia concerne la détention à domicile. Elle n’est pas nouvelle dans le système judiciaire italien qui y a recours depuis des décennies. 
Mais elle a pris un tout autre sens quelques années auparavant avec la loi «svuota carceri», ou «vide-prisons». D'abord considérée comme une mesure temporaire, elle a été pleinement intégrée en 2014. Elle prévoyait que les personnes détenues ayant une peine inférieure à 18 mois pouvaient la purger à leur domicile ou dans un autre lieu, public ou privé, qui les accueillerait. Le législateur ne fait donc que confirmer la dite possibilité tout en supprimant certaines limites et en ajoutant d'autres avec un délai prévu jusqu’au 30 juin 2020 avec un retour prévu en prison si la crise "s'apaisait". Le décret prévoit également des allègements de procédures.

Une des limites de cette mesure est que les personnes condamnés pour association mafieuse ne peuvent normalement pas bénéficier de l'assignation à résidence. Le législateur ne précise pas les limites qui ont été supprimées mais le 4 avril, à Catanzaro en Calabre, la Cour d’Appel a décidé de la libération du boss Vincenzino Iannazzo, condamné à 14 ans et 6 mois de prison. 
Une décision  liée à la crise sanitaire selon le communiqué annonçant sa sortie de prison mais pourtant en théorie, les détenus condamnés pour association mafieuse sont exclus du «décret covid». S'agit-il d'une des modifications que prévoyait l'avenant de Cura Italia sur les assignations à domicile ? Permettre même aux affiliés et membres de clans mafieux condamnés de bénéficier d'une liberté conditionnelle ?

Émeutes en prison (Shutterstock) ; Vincenzino Iannazzo (Gazzetta del Sud)Émeutes en prison (Shutterstock) ; Vincenzino Iannazzo (Gazzetta del Sud)

Émeutes en prison (Shutterstock) ; Vincenzino Iannazzo (Gazzetta del Sud)

La prison de Spoleto n’est pas concernée par l’épidémie mais Iannazzo est un sujet «à risque» : c’est un homme de 65 ans, déficient immunitaire du fait d’une transplantation rénale et atteint d’autres pathologies. Il est donc désormais en résidence surveillée. Précédemment, le boss mafieux avait demandé sa libération mais son état de santé avait été pourtant jugé compatible avec la détention. 
Comme pour chaque assigné à domicile, des règles strictes lui sont imposé évidemment. Contacts uniquement avec les membres de la famille vivant avec lui, port du bracelet électronique mais on verra ça sera à la tête du client. Et obligation d’avertir les carabiniers si, pour des raisons de santé, il devait quitter son domicile. Si ces obligations sont transgressées le détenu retournera en prison. Les carabiniers se doivent quotidiennement d'aller visiter les assignés à résidence, une tâche qui là aussi sera difficilement applicable pour tous, par manque de temps dans "l'agenda".

Le même jour on apprend que l'ancien député régional sicilien Paolo Ruggirello, a été testé positif et guéri du coronavirus alors qu'il est détenu à Santa Maria Capua Vetere (Campanie) pour des accusations d'association mafieuse. On ne sait rien d'autre sur les conditions de sa détention mais à priori il n'était pas en 41bis. L'adoption de ces mesures s'est effectuée dans le feutré mais au courant du mois d'avril les médias locaux font s'émouvoir peu à peu à chaque sortie annoncée de membre du crime organisé.

A chaque journée sa peine ou plutôt son assignation, le 10 avril c'est le boss calabrais Rocco Santo Filippone qui est placé aux arrêts domiciliaires, sans même un bracelet électronique. Âgé et souffrant de nombreuses pathologies, C'est la Cour d’Assises de Reggio de Calabre qui en a décidé ainsi. Filippone a donc quitté sa prison de Turin pour gagner le domicile de sa belle-fille, à Rivoli près de Turin, et non en Calabre.
Il est considéré comme le boss calabrais chargé des relations avec les siciliens, notamment à l’époque de la négociation entre l’État et la Mafia. Filippone est également en procès à Reggio de Calabre avec le boss de Palerme Giuseppe Graviano, accusés de s’être associés pour commanditer en 1994 des attaques contre les carabiniers (2 morts et deux blessés), dans le prolongement des attentats mafieux de 1992 et 1993. C’est le premier boss impliqué dans le terrorisme mafieux à être libéré dans le cadre de la crise sanitaire. (Crimorg - Repubblica)

Rocco Santo Filippone (La Repubblica)

Rocco Santo Filippone (La Repubblica)

Une dizaine de jours plus tard, c'est avec stupeur que les autorités anti-mafia apprennent que le boss Francesco Bonura, 78 ans, issu de la Famille de l’Uditore (un quartier de Palerme) a reçu l’autorisation de sortir de prison par un tribunal de Milan. Gravement malade, il ne lui reste plus que 8 mois à purger sur une peine de 23 années de prison. Il avait été arrêté en 2006 lors de l’opération «Gotha» contre les prétendants à la succession du «boss des boss» Bernardo Provenzano, arrêté en avril 2006.

Le lendemain, Giuseppe «Pino» Sansone, un autre boss de l’Uditore et proche de Toto Riina (si proche qu'ils ont été voisins de cellule), a été placé à son tour aux arrêts domiciliaires du fait de sa santé. Une décision prise alors que dans sa prison de Voghera (Pavie) un détenu est décédé du covid-19.
Le boss de 69 ans, déjà condamné pour association mafieuse, avait été arrêté en juillet dernier, accusé d’être un des protagonistes de la réorganisation de Cosa Nostra à Palerme. Il traitait notamment avec les Familles «perdantes» de la guerre Corleone contre Palerme du début des années 1980 : exilés aux États-Unis. (Crimorg – Live Sicilia). Ce sont ces familles là, de nouveau autorisé à revenir en Sicile qui tentent de reconstituer la Cupola mis sous l'éteignoir durant des décennies par Toto Riina. On a vu Pino le frère de Gaetano en compagnie de Matteo Inzerillo et Alfonso Gambino (les deux familles étant liées par le mariage).

En Calabre cette fois, c'est Domenico Perre, 64 ans qui bénéficie du désormais baptisé «décret covid» en raisons de ses problèmes cardiaques. Sa famille est même venu depuis Plati en Calabre pour le chercher à Milan. Quid du confinement ?
Perre a déjà passé 22 années en détention. Issu d’une grande famille de la ‘Ndrangheta. Il a notamment été impliqué dans l’enlèvement d’Alessandra Sgarella, une entrepreneuse milanaise en 1997, qui a été libérée 11 mois plus tard en Calabre. Depuis 2015 déjà, ses avocats demandent sa libération sous condition à cause d’une crise cardiaque survenue en 2013. A chaque fois, les juges avaient rejeté ces demandes. C’est à son domicile que les enquêteurs avaient placé un micro permettant d’identifier les auteurs de l’enlèvement, un des derniers de la ‘Ndrangheta qui en était la spécialiste dans les années 1970 au début des années 1990.

Giuseppe «Pino» Sansone (Giornale di Sicilia)

Giuseppe «Pino» Sansone (Giornale di Sicilia)

Le 24 avril l'assignation à résidence de Pasquale Zagaria va faire déborder un vase d'indignation déjà bien rempli. Le bien surnommé «Ben Laden» est le le frère du boss du clan des Casalesi de la Camorra, Michele Zagaria. Il avait un rôle prépondérant dans le clan comme «financier/comptable». Il était surtout détenu sous le régime 41 bis (un régime carcéral dévolu aux boss mafieux se matérialisant par l'isolement le plus strict et totalement à part des autres prisonniers. Le cas de Zagaria est symptomatique des limites des mesures et surtout de leur manque total de dicernement. 
Il est actuellement traité pour une maladie et la prison où il était (Asinara) ne bénéficiait pas de structures adéquat et il était donc traité à l'hôpital de Sassari. Sauf que urgence sanitaire oblige, le dit hôpital était devenu un «centre covid». Zagaria étant par sa pathologie un sujet fragile, il a été décidé de l'assigner à résidence là où a déménagé sa femme, à Brescia.....en Lombardie !!! Brescia qui déjà à l'époque et encore en ce mois de juin est la 3ème ville la plus touchée de la région (et donc du pays) par le virus. 
Pasquale Zagaria, 60 ans, natif de San Cipriano d’Aversa est incarcéré depuis 2007. Au début des années 2000, il avait repris l’entreprise de son beau-père à Parme, permettant aux Casalesi de s’infiltrer dans des marchés publics. Libérable en 2027, il a obtenu une remise de peine de 210 jours pour des «des traitements inhumains et dégradants» et pourrait donc sortir en juillet 2025. (Crimorg - Il Fatto Quotidiano)

Le pire est à venir dans cette affaire car plusieurs semaines plus tard, pour justifier de la sortie de Zagaria et des autres mafieux, Giulio Romano, directeur général du département chargé de la gestion des détenus expliquera qu'elles étaient dû à une erreur de courriel dû à la surcharge de travail des employés administratifs pénitentiaire. «Une erreur du système» comme il témoignera devant la Commission parlemantaire anti-mafia en juin. La circulaire du 21 mars demandait aux directeurs de prisons de signaler "avec diligence" aux magistrats de surveillance (équivalent italien du juge d’application des peines en France), la présence de détenus souffrant de pathologies, respiratoire, diabète, maladies cardiaques, insuffisance rénale chronique , VIH mais aussi tous les détenus "de plus de 70 ans". La fourniture de ces cas à risques a-t-elle contribué à l'élaboration de la liste des 9000 détenus, dont 376 mafieux, «libérés». Assurément. 
Problème si elle a été émise par Giulio Romano ou en tout cas son  «état major» il ne l'a même pas signé lui-même comme le signale la Repubblica. S'il n'a pas signé c'est qu'il ne disposait pas encore de sa signature électronique étant arrivé en février. C'est Assunta Borzacchiello, la directrice des cérémonies et des relations extérieures du bureau du chef du département de l'administration pénitentiaire qui l'a fait. Elle en témoignera devant la Commission elle aussi :

«J'ai reçu le mail car j'étais de service, on m'a dit que c'était une urgence. (..) à 9h30, le directeur général Giulio Romano m'a appelé et m'a dit qu'il finissait d'écrire un acte que je devais signer. À 11 h 06, Romano m'a envoyé un e-mail avec une note à la direction de la prison avec le message «comme convenu par le chef du département», le Dr Basentini». 
«Je l'ai transmis au secrétariat, l'ai mis sur du papier à en-tête et signé «pour le directeur général». Et donc le document, enregistré a été envoyé» conclut Assunta. (poliziapenitenziaria.it)

L'explication émise par Romano est que ce texte est bien de son fait après s'être appuyé sur les recommandations de Giulio Sternini, spécialiste des maladies infectieuses. Le texte a été ensuite validé par Francesco Basentini, directeur de l'administration pénitentiaire et envoyé au secrétariat d'Alfonso Bonafede, le ministre de la Justice.
Après ça le texte a  commencé à circuler partout.
Si les magistrats n'ont pas encore redoublé de vigilance, les observateurs associatifs anti-mafia et les journalistes eux pointent du doigt pour chaque cas la gestion chaotique et l'existence de la circulaire du «décret covid». Certains magistrats annoncent que 40 mafieux importants auraient déjà bénéficié de ce décret covid au moins d'avril.

Alfonso Bonafede (Il Mattino) ;  la fameuse circulaire du 21 mars (La Repubblica)Alfonso Bonafede (Il Mattino) ;  la fameuse circulaire du 21 mars (La Repubblica)

Alfonso Bonafede (Il Mattino) ; la fameuse circulaire du 21 mars (La Repubblica)

Le 27 avril, justement, c'est au tour des avocats de Raffaele Cutolo boss fondateur de la Nuova Camorra Organizzata en 1970 et grand artisan de la guerre avec la Nuova Famiglia dans un conflit qui a mis la Campanie à feu et à sang dans les années 70 et 80, de faire une demande d'assignation à résidence à cause du covid-19. La décision devait être prise dans la journée mais elle ne le sera que deux jours plus tard avec un refus catégorique. Les avocats feront appel et le 10 juin le refus est enteriné.
Comme plusieurs boss ou sommités mafieuses sorties ces derniers jours, son avocat argue du fait que Cutolo serait malade et donc selon le décret Covid il doit bénéficier d'une sorte de protection sanitaire car sujet à fort potentiel de contagion. Il n'est pas positif au virus (a-t-il même fait le test on ne sait pas) qui plus est il est lui aussi détenu selon l'article 41bis. 
Ce décret est devenu du pain béni pour les avocats de la défense qui s'en servent allègrement pour leurs clients. 

Le 28 avril, un autre parrain de Catane, Francesco «Zio Cicccio» La Rocca, obtient son «ticket de sortie». Il est surtout connu pour avoir participé au meurtre en 1968 de Pietro, fils de Giuseppe Di Bella, le boss de Canicatti qui avait lui-même ordonné son exécution pour être devenu communiste. 
Face à l'indignation nationale et la couverture médiatique, les magistrats vont dès lors se faire plus précautionneux et faire du cas par cas pour examiner les assignations. On verra dès lors plusieurs autres grands noms se voir refuser leur demande car réputé encore trop dangereux. Qui plus est, une nouvelle loi oblige dorénavant les magistrats de surveillance à réétudier dans les 15 jours les cas de libération sous conditions accordés depuis le début de la crise. Il ne lui reste plus que quelques mois à purger. (Crimorg - Repubblica)

C'est le cas du le boss de Catane, Benedetto «Nitto» Santapaola, qui s'est fut refusé sa libération de la prison Opéra de Milan. 
Pour rappel, le boss a été arrêté en mai 1993, il a depuis été condamné à de nombreuses reprises à des peines à perpétuité pour les attentats de Capaci (contre le juge Falcone) et via D’Amelio (contre le juge Borsellino), du meurtre du journaliste Pippo Fava, du meurtre du policier Giovanni Lizzio.
Pour la première fois les magistrats ont pris en compte le fait que la détention sous le régime 41bis,  permet une protection contre le risque de contagion. 
Qui plus est à l'instar de Cutolo on estime que Santapaola reste un élément bien trop dangereux et influent dans le crime organisé pour le laisser vivre à résidence.

Benedetto «Nitto» Santapaola (La Siciliaweb)

Benedetto «Nitto» Santapaola (La Siciliaweb)

Début mai c'est à Nicolino Grande Aracri, boss référent calabrais dans la région de Reggion-Emilia de tenter sa chance. Lui aussi sous régime 41bis à la prison d'Opera, «Nick mano di gomma», condamné à la réclusion à perpétuité, a poussé ses avocats à faire la demande, citant également la raison des conditions précaires de sa santé. 
Il a dû être encouragé par le fait que son affidé Romolo Villirillo, en prison à Rebibbia, a lui obtenu sa sortie malgré ses 42 ans mais en raison de surtension artérielle. Ce dernier avait été définitivement condamné à 6 ans et 8 mois  dans un procès où Grande Aracri a pris perpétuité qui a pris racine en Émilie-Romagne, a obtenu son assignation des juges de Catanzaro (Calabre).
Grane Aracri n'aura finalement pas gain de cause.
La liste des demandes de libération conditionnelle ou d'assignation à résidence s'allonge en même temps que les procès sont repoussés. (Il Fatto Quotidiano)
Giuseppe «Piddu» Madonia, 72 ans, ; Francesco Guttadauro, 40 ans, neveu du boss en fuite Matteo Messina Denaro ou encore Leandro Greco, 30 ans, neveu de Michele Greco, surnommé le «Pape de Cosa Nostra», incarcérés sous le régime spécial anti-mafia de l’article 41bis, se sont vus refuser leur remise en liberté avec assignation à résidence. 

Dans la liste des mafiosi assignés à résidence publiée début mai on découvre les noms de Rosalia Di Trapani, l’épouse du boss sicilien Salvatore Lo Piccolo qui il y a une dizaine d'années était présenté comme un des successeurs possibles de Bernardo Provenzano à la tête de Cosa Nostra. 
Celui de Francesco Ventrici un important narco-broker calabrais lié aux paramilitaires colombiens des AUC «Autodéfenses Unies de Colombie». Il a été condamné en cumulé dans trois affaires à 52 ans de prison. Il sera assigné dans sa maison familiale de Bentivoglio près de Bologne, une maison que les autorités par le passé avaient tenté, en vain, de saisir. (Crimorg - Repubblica)

On observe aussi quand même le chemin inverse.
Antonino Sacco le boss de Brancaccio (Palerme) qui avait été assigné à résidence pour raisons de santé il y a 1 mois (jusqu'en juillet) a vu son assignation révoquée. Il retourne du coup en prison. 
A cette occasion on apprend que le décret "cura Italia" comporte une clause de réévaluation de la détention à domicile au cas où la disponibilité d'hébergement du détenu est possible dans un autre structure pénitentiaire avec un hôpital qui peut garantir les soins nécessaires et sûrs. 
Vito D’Angelo, le boss de Favignana (île au large de Trapani, à l’ouest de la Sicile), assigné à domicile, pour cause de Covid-19, malgré sa condamnation pour association mafieuse va repartir en prison. En effet, Vito a connu la visite des carabiniers à un moment un peu délicat où il était en compagnie de personnes peu recommandables qu’il n’avait pas le droit de fréquenter sans briser sa conditionnelle.
Vito est habitué aux allers-retours. En mars 2019, il avait été arrêté lors de l’opération «Scrigno» pour association mafieuse, trafic de votes, extorsion et incendie. Il avait ensuite été remis en liberté pour motifs sanitaires, mais avait vu cette libération conditionnelle révoquée, déjà pour avoir rencontré d’autres mafieux. Il était donc retourné en prison, jusqu’à ce que la pandémie entraîne à nouveau sa libération. D'Angelo a été le protagoniste de la querelle mafieuse de Ravanusa, qui s'est produite dans les années 70. (Crimorg - Repubblica)

Antonino Sacco (LiveSicilia)

Antonino Sacco (LiveSicilia)

Toujours en mai, Carmine Alvaro, du clan Sinopoli retourne en prison à peine 24 h après son placement pour avoir ignorer les conditions de son «confinement» alors qu'à cause de ses pathologies il est un sujet à risques. Alvaro est un élément important de la mafia de Sinopoli, un petit village d'Aspromontano impliquée dans la répartition des chantiers, les contrats, la sous-traitance, l'extorsion et le travail entre les familles 'ndranghetistes dans une grande zone, allant de Reggio de Calabre à la plaine de Gioia Tauro. (Crimorg - Gazzeta del Sud)
Le 19, Francesco Bonura le 1er boss «41bis» assigné retourne en prison. Comme le prévoyait aussi une des mesures, en cas d'amélioration de la situation sanitaire dans le pays. 
Une autre assignation à domicile a également été annulée par le Tribunal de Surveillance de Milan, qui a émis un nouveau mandat d’arrêt contre Franco Cataldo, un des kidnappeurs du petit Giuseppe Di Matteo (fils d’un repenti, enlevé, séquestré pendant 779 jours, étranglé puis dissous dans l’acide). Agé de 85 ans et condamné à perpétuité, Cataldo a été arrêté par les carabiniers, incarcéré dans une prison sicilienne, en attendant son transfèrement vers la prison Opera, à Milan. (Crimorg - Repubblica)
D'autres cas sont à relever comme celui fin mai du boss calabrais Rosso Santo Filippone, un des premiers libérés. La Cour d’Assises de Reggio de Calabre ayant rejeté sa demande d’hospitalisation et il doit donc être à nouveau incarcéré dans une prison à Bari, où il recevra les soins dont il a besoin.

Le 17 juin l'administration pénitentiaire fait annuler la circulaire qui normalement devait pourtant durer jusqu'au 30 juin au moins. La raison invoquée, l'amélioration de la situation dans le pays avec le recul du nombre de cas positifs. Toutefois l'imbroglio de la libération de Pasquale Zagaria est tout autant une cause à cette annulation tellement l'émotion qu'elle a provoquée a été vivement ressentie.
Le Ministre de la Justice Alfonso Bonafede s'est lui dit satisfait du «décret covid» selon des proches collaborateurs cités par le site poliziapenitenziara.it. Difficile de renier les mesures qu'on a soit-même mis en place mais l'ampleur de la tâche semble avoir pris tout le monde de court. Cette circulaire qui a permis tout ce capharnaüm, encore aujourd'hui on ignore qui en est vraiment à l'origine. La Commission parlementaire anti-mafia continue ses auditions pour déterminer les causes d'un tel problème.
Mais alors entre sorties et rentrées, quelle bilan peut on tirer de cette politique ? S'il y avait des raisons humanitaires certains magistrats ont parfois bafoué les droits et devoirs de leurs fonctions en en soumettant pas les dossiers à une vérification approfondie de rigueur. Le temps n'était sans doute pas au cas par cas fastidieux je le conçois mais l'administration aurait évité bien des embarras à se montrer plus rigide sur la santé des prisonniers qui méritent tout autant que les autres citoyens à avoir accès aux moyens de protection et aux mêmes principes de précaution que les autres. 

On peut douter de tout sauf de la nécessité de traiter les prisonniers avec humanité et l'administration aurait eu bien plus à gagner à fournir aux personnels les moyens matériels d'éviter la propagation du virus avec la fourniture adéquate, masques, gants, produits hydro-alcoolique.
Car on peut le noter que le virus a bien circulé dans les prisons comme ailleurs et que le recours systématique des avocats à invoquer le décret covid pour sortir leurs clients de prison n'était pas qu'un effet de manche du métier. Le virus a provoqué plusieurs décès de boss ou dirigeants mafieux, ainsi le 2 avril on apprend le décès du premier détenu en lien avec le coronavirus. Vincenzo Sucato, 76 ans, était incarcéré à la prison de Bologne. Arrêté en décembre 2018, il était accusé d’être le boss de Misilmeri (Palerme). Il a été hospitalisé le 27 mars pour des problèmes respiratoires. Il avait été incarcéré avec un autre détenu asymptomatique.
Moins d'une semaine après c'est un boss calabrais, Antonio Ribecco, détenu dans la prison de Voghera qui décède du coronavirus alors qu'il souffrait déjà d'autres pathologies. Considéré comme le «référent» de la ‘Ndrangheta en Ombrie, il avait été arrêté en décembre dernier pour trafic de cocaïne. 
L'annulation de la circulaire va donc «permettre le retour d'au moins 220 condamnés pour association mafieuse (chiffre de la Repubblica), les autres à priori devraient rester à résidence s'ils ont moins de 2 ans de prison à purger. 

Reste à savoir quelles seront les conséquences à moyen terme d'une gestion aussi difficile dans une situation chaotique qui certes est à prendre ne compte. Le temps dira si la Commission parlementaire arrivera à dénouer le nœud du problème. De cette «erreur de système». Un sistema mafieux existe déjà. Un doublon de système défectueux serait corrosif pour la justice et le travail de l'anti-mafia en Italie pour son présent et pour son avenir.

 

Sources : Repubblica; LiveSicilia ; Il Messagero ; Crimorg.com ; Gazzetta del Sud ; Il Fatto Quotidiano : InterNapoli ; Prison-Insider ; Poliziapenitenziaria.it

Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :

Archives

Nous sommes sociaux !

Articles récents