La poudrière du Monténégro partie 6

(Jutarnji)

Si l'on dit que tous les chemins mènent à Rome depuis....  Les Pays-Bas et particulièrement Amsterdam s'est trouvée elle aussi à la croisée des chemins de criminels depuis les années 70. Véritable épicentre d'une forme de tolérance à la consommation de stupéfiants et de sexe. Le quartier Rouge ayant été le terreau fertile d'ambitieux bataves précurseur dans l'importation à haut débit de haschisch (d'abord pakistanais puis marocain). Couplée à l'influence des italiens, des chinois et leur opium, puis les turcs et leur héroïne, la capitale a qui plus est vu l'arrivée dès 1973 des Hells Angels qui y ont implanté son premier chapitre européen. L'arrivée des yougoslaves à l'orée des années 80 va finir de transformer Amsterdam en un melting-pot criminogène de haute volée avec ces braqueurs cambrioleurs et assassins à la solde des services secrets.
A première vue ce n'est pas pour visiter le Quartier Rouge local que le croate Ivan Serdarusic, 62 ans, se trouvait sur la Beethovenstraat ce 30 juillet 2018. Il dînait paisiblement dans un restaurant italien du coin quand un drôle de gonze en short et t-shirt ne lui tire plusieurs balles dans le buffet avant de quitter les lieux presque aussi paisiblement qu'il était arrivé. On reparlera de ce tueur au look détonnant. 
Mais d'abord intéressons nous à Ivan. Ce dernier était connu pour faire partie d'un gang de trafiquant de drogues. Plusieurs articles utiliseront la même source policière pour dire que plusieurs membres du dit gang ont déjà été abattus. Ce que l'on sait c'est qu'Ivan avait vécu à Amsterdam depuis les années 90. Une période ou les «yougos» avaient les coudées franches sous le leadership de Sreten «Jotsa» ou «Joca Amsterdam» Jocic. Dès la fin des années 80 Jotsa et son associé Ljubinko Becirovic se trouvent aux Pays-Bas pour trafiquer. Ils agissent comme intermédiaires pour les gangs de Belgrade et notamment le plus puisant de l'époque, le gang Surcin. Quand Becirovic est abattu en octobre 90 Sreten prend le leadership. Après la mort du parrain Klaas Bruinsma, son empire se brise en plusieurs entités qui dorénavant se feront concurrence. On tire pour un oui ou pour un non. 

Joca Jocic (Kurir)

Les alliés d'hier deviennent des ennemis. Jocic sera un des rares survivants de l'époque menant à la fois une guerre à Belgrade contre le gang Amerika, des serbes précurseurs de la route Colombie-Brésil et avec les trafiquants néerlandais Sam Klepper et Jan Femer tous les deux tués en 2000 à un mois d'intervalle. Jocic est soupçonné mais il n'est pas le seul. C'est dans ce terreau fertile qu'Ivan a du évoluer. Ça vous forme un criminel mieux que quiconque.
Serdarusic avait deux fils qui sont actifs dans l'immobilier en Croatie. L'une de ces sociétés aurait financé la campagne électorale du maire populiste de Zagreb, Milan Bandic. Bandic a été arrêté en 2014 pour soupçon de corruption. Les fils de Serdarusic racontent qu'ils n’ont rien à voir avec les activités de leur père qui avait été impliqué dans la contrebande de 100 kilos de cocaïne saisie en mars à Rijeka (Croatie). Plusieurs hommes ont été arrêtés dont le responsable du réseau le croate Stjepan Prnjat surnommé «l'Escobar croate». Ivan lui n'avait pas été arrêté ce qui aurait provoqué des tensions au sein de son gang qui pourrait l'avoir soupçonné d'avoir parlé aux autorités.
1 mois après Robert Milat, un néerlando-croate poursuivi pour trafic de drogue est exécuté par deux sicarios quartier Miraflores à Lima au Pérou. L'art d'effacer ses traces. Ce que les médias sud-américains ont commencé à appeler le «Cartel des Balkans» ne chôme pas.

(Pink ; index.hr)

Quand à son assassin, malgré son allure débonnaire, son t-shirt imprimé, son sac d'ordinateur en bandoulière où il avait caché son arme et son pantacourt, la police n'a aucun indice sur lui. Quoique après une recherche sur les bandes de vidéo-surveillance du restaurant les policiers remarquent un homme qui quelques minutes après la fusillade portait les mêmes chaussures que le tueur mais cette fois avec un short et un t-shirt blanc et le visage sans chapeau ou lunettes de soleil. La police va diffuser rapidement le signalement du tueur mais il a déjà fui le pays pour la Hongrie où il tuera à nouveau ainsi qu'en Serbie.

Un tueur à gages orthodoxe mais pas trop

Ce n'est qu'en février 2019 que l’identité du tueur est connue, il s'agit de Caba Der, un serbe de 38 ans. Le «tueur souriant» comme il a été baptisé par les médias est interpellé à Prague le 1er mars. On retrouve sa trace à Budapest où il a assassiné un homme d'affaires local et à Belgrade où il s'est trompé de cible et tué le beau-frère de sa cible un membre des Pink Panthers. A son procès qui débute en février 2021, si la personnalité de Der quelque peu évoquée, les enquêteurs s'attardent surtout sur le parcours du tueur à gages impliqué dans le crime organisé depuis une dizaine d'années déjà. Petit voleur il aurait passé son «diplôme» de tueur à la prison de Sremska Mitrovica auc côtés de dit-on Darko Elez, un gros narco serbe. Son premier meurtre il le commet en 2004 dans une taverne de Novi Sad. Déjà à l'époque il passe pou un original après s'être enfui des lieux....à vélo. Il est arrêté quelques semaines plus tard là encore à cause d'un fait pas commun. S'il portait bien sa cagoule, Der, s'était viandé lors de sa fuite à vélo et heurté une bagnole garée sur un trottoir. Les enquêteurs feront des prélèvements sur le véhicule et on va trouver des fibres d'un survêtement appartenant à Der (et que les témoins l'avaient vu porté le soir du meurtre). Après 3 procès entre 2005 et 2009, il prend finalement 15 ans pour le meurtre et une tentative.

Caba Der (copyright Express.hr)

Il sortira courant 2017 et il va toute de suite trouver du boulot. S'il n'a pas été jugé pour ça les enquêteurs en sont persuadé Caba se trouvait à Barcelone le jour de la tentative d'assassinat contre Nebojsa «Stojke» Stojkovic, boss du clan Rakovicka de Belgrade qui s'il survit à cette attaque va y perdre 2 doigts. 
La seule chose dans cette affaire qui fait tiquer c'est que Stojke est un proche de Luka Bojovic, lui même proche du clan Skaljarski. Or Caba aurait travaillé surtout pour le compte du clan monténégrin. C'est ce que suggère la dernière attaque à Belgrade qui a tué Nebojsa Markovic, le beau-frère du Pink Panther, Aleksandar Sarac. Ce contrat lui aurait été probablement confié par Darko Elez un proche de Luka Bojovic. Il aurait en tout cas procuré une aide logistique aux tueurs du clan. Et il se serait servi de ces derniers pour faire le vide à Sarajevo-Est en faisant exécuter 3 de ses rivaux entre mai 2018 et janvier 2019.

Mais les alliances changent vite dans la région on le verra.

Début août, onze citoyens monténégrins ont été arrêtés dans le cadre d'une action internationale pour trafic de haschisch. Un navire qui transitait du Maroc vers la Libye a fait un arrêt en Italie et c'est là que la police est intervenue et arrêté des membres du clan Skaljarski qui tentaient de transporter 20 tonnes d'opiacés.
La Guardia di Finanza a intercepté dans les eaux internationales le bateau «Remus», battant pavillon du Panama. Ramené au port de Palerme, le navire dissimulait dans la soute à carburant 650 sacs de jute contenant 20 140 kilos de résine de cannabis. Le bateau de 47 mètres de long se rendait des Canaries vers un port de Turquie, via l’Égypte. On le sait les monténégrins déplacement du gros colis mieux qu'Amazon, une telle cargaison à transporter en une fois c'est prendre des risques insensés. Soit on est sûr de son coup et de sa logistique soit on est fou ou les deux. 
Autre coup dur un mois après, l'arrestation en Turquie d'un des dirigeants du clan, Jovan Vukotic. Il est extradé dès le lendemain en Serbie. Des rumeurs font état que Jovan aurait été caché un temps dans une villa appartenant à Besnik Kelmendi (3ème fils de Naser un gros narco kosovar). Son frère Igor Vukotic et Igor Dedovic les deux autres leaders sont toujours recherché.

En Europe, en Amérique et en Afrique du Sud, les trafiquants des Balkans ont su tisser leurs toiles. Si tous ne sont pas directement liés à la présente guerre, leurs intérêts se trouvent malgré tout impactés par le grand chambardement qui se passe au Monténégro. L'effet papillon. 
A la mi-septembre c'est un vieux routier du crime serbo-scandinave et compagnon de route de Kristijan Golubovic, qui est visé par des tirs à Stockholm 
Le 24 septembre à Bedfordview  dans la banlieue de Johannesburg en Afrique du Sud, un homme d’affaires d’origine serbe de 43 ans est tué dans sa voiture par deux hommes à moto. Djordje «George» Mihaljevic a bien tenté de fuir mais les tueurs ne lui ont laissé aucunes chances. Il aurait été en conflit avec le caïd tchèque Radovan Krejcir qui a ouvert des commerces identiques à ceux de Mihaljevic : ses sociétés «Sandton Gold» et «Diamond Exchange» sont spécialisées dans le rachat d’or et de bijoux, souvent volés, tout comme la société «Moneypoint» de Krejcir.
Le conflit s’est accentué en 2013 quand Mihaljevic donne des informations sur le caïd tchèque au fisc sud-africain. Suite à cela, le père de Mihaljevic Petar Miso Mihaljevic, a été enlevé et torturé le 20 décembre 2013 (il décède quelques jours plus tard), obligeant le serbe a renvoyé sa famille en Europe. (The Citizen - Crimorg.com)
Djordje était aussi en affaires avec des très proches du parrain monténégrin, Darko Saric. Il entretenait des bonnes relations aussi avec Dobroslav Gavric et surtout Milan «Miki» Duricic, tué il y a quelques mois avec le même modus operandi à Johannesbourg.

Tir aux pigeons à Belgrade

Une semaine plus tard Marko Isakovic, un ex leader du groupe ultra grobari, Alkatraz est blessé par balles à Belgrade. Il avait été soupçonné d'être en lien avec l'assassinat d'Ivan Perovic, un autre ultra grobari du groupe dissident «Zabranjeni» en octobre 2011. On n'en a pas encore idée complète mais la Tribune Sud des Grobari est en proie à des changements drastiques qui vont voir l'avènement d'un groupe qui va mettre en coupe réglée Belgrade et sa banlieue dans les années à venir.

Le 20 novembre, Veselin «Vesko» Kalezic, 47 ans, est abattu de 10 balles en fin d'après-midi à Podgorica près de l'ancien stade de foot «Graficar». L'homme était connu de la police pour assassinat, trafic de drogues et violence. Kalezic était surtout connu comme un membre du clan Kavački et aurait été tué en représailles à sa participation aux meurtres d'Ivan Nedovic et de Miodrag Kruscic.
3 jours plus un autre supposé proche des Kavacki tombe dans une embuscade mortelle, Predrag Mitrovic, 49 ans a été abattu devant chez lui à Dusanovac (Belgrade). Il était bien connu des services et en lien avec des gros trafiquants de drogues serbes même si lui même n'en était pas un.
Dans la même semaine un jeune monténégrin de 20 ans, Drago Bozovic, est blessé mortellement par balles à Bezanijska. Il semble que son assassinat soit lié à un autre règlement de comptes  auquel il aurait participé. Drago était lié à Igor Bozovic, un des dirigeants des Kavački, libéré le 4 août dernier de prison après 5 ans pour trafic de drogue via l'Amérique du Sud.
Le même jour ce sont 2 autres gangsters et narcos serbes qui sont abattus dans la capitale serbe lors de 2 autres attaques sans que l'on sache si elles sont liées aux précédentes affaires. 
Mais la ville n'en a pas encore fini avec le chaos.
Le 1er jour du dernier mois de l'année, Vladimir «Vlada Pop» Popovic, 43 ans, est abattu dans la soirée vers 22h dans le bar «Kafeteka» à Zvezdara. Touché par au moins 10 balles, il aurait tenté de frapper un des tireurs puis de les poursuivre dans la rue en leur tirant dessus avant de s'écrouler sur le trottoir.
Ironie du sort, dans ce bar, Popovic se trouvait avec un membre du clan Skaljarski, Milos «Runjo» Nilovic qui était alors aux toilettes et y est resté caché dès les premiers coups de feu pensant qu'on le visait lui.
Popovic avait été arrêté début 2017 (avec les policiers Vojislav Kostic et Dalibor Djoric), pour extorsion de fonds et passage à tabac d'un homme endetté de 110 000 euros. Popovic était aussi un proche de Filip Korac. Vlada Pop était un référent, un associé même du clan Zemun. Il était connu comme un investisseur dans l'immobilier. Il était aussi plus officieusement le propriétaire du fameux casino «La Havane», lieu de rendez-vous mythique de la pègre belgradoise depuis 20 ans. La police pense même qu'il a été le lieu où le meurtre de Durovic a été comploté. Comme le monde est petit on retrouve aussi le frère de Vojislav Kostic parmi les interpellés du clan Skaljarski au restaurant Durmitor en juin 2017. 

Vladimir Popovic assassiné (Blic)

Pour tenter de débusquer les membres des deux clans monténégrins en fuite, les autorités ont décidé de s'attaquer à leurs avoirs, biens et possessions au Monténégro. Peut être cela affectera-il le financement de leur cavale.
4 leaders ont été visés en priorité : Radoje Zvicer des Kavacki et les frères Igor, Milica Minje Sakovic et Stevan Stamatovic du clan Skaljarski. Deux autres bien que déjà en détention ont aussi vu leurs biens saisis, il s'agit de Jovica Vukotic et Ranko Radulovic.
Radulovic a été arrêté le 18 juin pour le complot visant à assassiner le procureur général Milivoje Katnic, de son fils et des frères Viloticevic.
Depuis juillet de l'année dernière, Stevan Stamatovic est recherché pour la tentative de meurtre sur Radojic Zekovic à la fin du mois de mai de l'année dernière. La police serbe a également recherché Stamatovic l'année dernière parce qu'il était soupçonné d'être impliqué dans le meurtre d'Aleksandar «Sale Mutava» Stankovic pour lequel Milic «Minja» Sakovic a aussi été cité. 

1 semaine plus tôt, le tribunal de Belgrade a condamné à 15 ans de prison Darko Saric pour trafic de plusieurs tonnes de cocaïne. Cela sonne comme le glas de l'organisation Saric surtout qu'au moins de juin son plus proche collaborateur Rodoljub Radulovic, 69 ans, aka «Misa Banana» a été repéré au Brésil. Radulovic a quitté la Serbie en 2009 après la saisie de 3 tonnes de cocaïne en Uruguay. Il est recherché par Interpol depuis mars 2011. Il a été jugé par contumace et a écopé d'une peine de 12,5 ans de prison.

(Krik)

Le conflit va passer dans une autre dimension avec l'assassinat le 21 décembre de Vladimir Roganovic, 31 ans, un membre de haut rang du clan Kavački. Ce dernier a été abattu dans l'après-midi alors qu'ils sortaient d'un restaurant de Vienne. Il s'agit du 1er assassinat hors des frontières des Balkans d'un membre affirmé et important d'un des deux clans.
Un homme de Niksic âgé de 22 ans a été blessé. Il pourrait s'agir de Stefan Vilotijevic aka «Mali Kicun». Les deux victimes ont été touchées par des balles dans la tête. Un troisième homme avec qui les deux victimes se trouvaient a été interrogé puis arrêté suite à des incohérences de son témoignage. Il s'agit d'un croate du nom de Daniel Milicevic, 29 ans. Il semble que cette identité ne soit pas la sienne et qu'il s'agisse d'un citoyen serbe originaire de Medakovic (Belgrade) et prénommé Gidra. Des sources monténégrines indiquent que plusieurs membres du clan  Škaljarski avait quitté le Monténégro 2 jours avant l'assassinat de Roganovic.
Vladimir est le frère de Dusko grièvement blessé en avril 2017 et le fils de Niko tué en juillet 2017. Il a été arrêté en mai de la même année avec ses amis Igor Bognjak, Nemanja Zurovic, Strahinja Knezevic et Luka Medic. Il aurait préparé un meurtre d'un membre du clan rival. Il a été condamné en Serbie l'année dernière à huit mois de prison pour falsification de documents et extradé vers le Monténégro au début de l'année qui le recherchait pour deux affaires. Il a quitté la prison de Spuž il y a à peine deux semaines, où il a purgé sa peine pour falsification de documents, et il a quitté le Monténégro il y a à peine quatre jours, d'où il s'est rendu à Vienne. Toutefois il est libéré. Un troisième frère Roganovic, Scepan, 34 ans, a été arrêté l'année dernière à Herceg Novi (le fief de la famille). Roganovic avait été un proche collaborateur d'Aleksandar Stankovic.
Stefan Vilotijevic est lui le plus jeune enfant de Kicun Viloticevic, un criminel monténégrin basé à Novi Sad qui a été abattu en 1999 devant un café.

«L'atavisme c'est comme la syphilis, les enfants trinquent» disait Frédéric Dard.

Sources : Blic ; Krik ; Vijesti ; Crimorg.com ; OCCRP ; Jutarnji : Informer ;